jeudi 29 avril 2010

Poème des rizières sur la colline

Je suis face au néant
Trapéziste à la brune
Légère, au silence de glace,
Perlé comme un cri.

Longji, dans le Guangxi un soir de brume

Poème des rizières sur la colline

Je suis face au néant
Trapéziste à la brune
Légère, au silence de glace,
Perlé comme un cri.

Longji, dans le Guangxi un soir de brume

mercredi 28 avril 2010

La bicyclette bleue

Ruelle du Manteau de Paille, presque en face du 21... Enfin un vélo chinois qui a la classe !

La bicyclette bleue

Ruelle du Manteau de Paille, presque en face du 21... Enfin un vélo chinois qui a la classe !

dimanche 25 avril 2010

Les Dimanches de la Poésie Acide

On est entrés par hasard.

J'ai compris notre erreur au bout de trois secondes environ. C'est le temps que prend mon cerveau pour faire le tour de l'assistance, ramolli par la triple conjonction d'enzymes gastriques en pic d'activité, de mollets en capilotade après les efforts de la veille et de méninges affolées par la menace de pluies acides chargées de cendres volcaniques.

Venant de la terrasse, on les voit immobiles et silencieux, en cercle derrière les baies vitrées comme de gros poissons morts flottant dans un aquarium. Pousser la porte, descendre deux marches grinçantes, tel le duc de Nevers ("nevermore!", s'écrie Poe) pour aller où l'on dansait.

A midi du cercle, un gros poisson chevelu siège et orchestre le sacrifice, déesse grecque encore fraîche du pinceau de l'artiste. Elle a pris les boucles rousses des femmes de Toulouse-Lautrec, sur sa joue gauche la mouche espiègle d'une belle de Renoir, sa taille bien grasse est saisie par Véronèse, et Courbet doit être à l'Origine de la convulsion de ses  bras dodus.

Dans l'appenti pentu, les apprentis s'apprêtent. On entre, tout cesse, les regards se tournent et convergent, la déesse se fend d'un "welcooooooome !" et nous voilà dans ses filets. Dio mio.

Elle est ravie qu'on soit là, elle est ravie que tout le monde soit là, elle est ravie que nous soyons sur le point d'écrire de la Poésie, des vers immortels qui survivront à la flétrissure du marbre. 

D'ailleurs tout le monde a l'air ravi. Jetés au milieu d'un atelier de poésie, on a rejoint les alcooliques anonymes.
"Je crois que Robert voulait nous dire quelque chose aujourd'hui... Robert?
- Je voulais vous dire... A cause de l'alcool, j'ai perdu mes amis, j'ai eu de mauvaises fréquentations, ma femme m'a quitté, je croulais sous les dettes, j'ai même laissé mourir Bob, mon poisson rouge. Ma vie était un enfer, et je ne voyais pas le bout du tunnel. Et un jour, j'ai rencontré les GAGs [Gentils Alcoliques Grabataires, NdT] et ma vie a changé. Soudain, j'ai retrouvé le sourire. Je n'étais plus seul face à mes hantises, on était tous dans le même bateau. Alors j'ai jeté cette p... de bouteille, et ce p... d'alcool et tout et tout, et j'ai fais le ménage dans ma p... de vie, et j'ai balayé mes p... de mauvaises habitudes, et tout, et tout! Et maintenant, je suis un autre homme. Je me rend compte de tout le temps que je perdais, et de tout le fric que ça m'engloutissait. Maintenant, j'ai acheté un cochon-d'inde, qui s'appelle Bobby, et je fais des maquettes avec des cure-dents usagés, et je vais bientôt exposer mes maquettes à la foire régionale de Trouillis-en-Glottois. J'ai enfin trouvé un sens à ma vie. Et tout ça, c'est grâce aux GAGs ! Merci, merci, merci !" Et Robert fond en larmes.
"On applaudit tous Robert! (Tous en coeur) Bravo, Robert !"
Aujourd'hui, Robert fait de la poésie. L'odalisque dans son fauteuil coincée tenait en ses mains une feuille. "Savez-vous ce qu'est une métaphore?" La feuille de bananier, sans que soit jamais mentionné son usage canonique de camouflage en sculpture dans le style Antique, sera successivement comparée: à une langue pour la forme, à un miasme pour on ne sait quoi, à un blouson de cuir avec un Ange sur le dos pour le toucher, à une chair d'enfant pour l'odeur. A moins que ce ne soit l'inverse.

Des sommets en appelant d'autres, un souvenir confus fusa dans ma mémoire, deux vers presque inconnus, refrain inachevé, frais comme le hasard, moins écrit que rêvé:
"Le vent claque,
Les feuilles craquent,
Je les croque,
Cric ! Crac ! Croc !"
On touche à l'Himalaya. Merci Tom-Tom et Nana.

Tel une feuille morte, je craque lorque la Grâce nous fait lire du Byron. Je sors et je vais acheter des livres. A vélo, les pluies acides me fouettent le visage.

Morale de l'histoire: abandonnez les basiques, ouvrez-vous à l'acide, laissez tomber vos parapluies, laissez pleuvoir les commentaires, aujourd'hui pas de censure, aujourd'hui c'est dimanche, et comme chaque week-end, vous êtes les bienvenus aux Dimanches de la Poésie Acide !

Les Dimanches de la Poésie Acide

On est entrés par hasard.

J'ai compris notre erreur au bout de trois secondes environ. C'est le temps que prend mon cerveau pour faire le tour de l'assistance, ramolli par la triple conjonction d'enzymes gastriques en pic d'activité, de mollets en capilotade après les efforts de la veille et de méninges affolées par la menace de pluies acides chargées de cendres volcaniques.

Venant de la terrasse, on les voit immobiles et silencieux, en cercle derrière les baies vitrées comme de gros poissons morts flottant dans un aquarium. Pousser la porte, descendre deux marches grinçantes, tel le duc de Nevers ("nevermore!", s'écrie Poe) pour aller où l'on dansait.

A midi du cercle, un gros poisson chevelu siège et orchestre le sacrifice, déesse grecque encore fraîche du pinceau de l'artiste. Elle a pris les boucles rousses des femmes de Toulouse-Lautrec, sur sa joue gauche la mouche espiègle d'une belle de Renoir, sa taille bien grasse est saisie par Véronèse, et Courbet doit être à l'Origine de la convulsion de ses  bras dodus.

Dans l'appenti pentu, les apprentis s'apprêtent. On entre, tout cesse, les regards se tournent et convergent, la déesse se fend d'un "welcooooooome !" et nous voilà dans ses filets. Dio mio.

Elle est ravie qu'on soit là, elle est ravie que tout le monde soit là, elle est ravie que nous soyons sur le point d'écrire de la Poésie, des vers immortels qui survivront à la flétrissure du marbre. 

D'ailleurs tout le monde a l'air ravi. Jetés au milieu d'un atelier de poésie, on a rejoint les alcooliques anonymes.
"Je crois que Robert voulait nous dire quelque chose aujourd'hui... Robert?
- Je voulais vous dire... A cause de l'alcool, j'ai perdu mes amis, j'ai eu de mauvaises fréquentations, ma femme m'a quitté, je croulais sous les dettes, j'ai même laissé mourir Bob, mon poisson rouge. Ma vie était un enfer, et je ne voyais pas le bout du tunnel. Et un jour, j'ai rencontré les GAGs [Gentils Alcoliques Grabataires, NdT] et ma vie a changé. Soudain, j'ai retrouvé le sourire. Je n'étais plus seul face à mes hantises, on était tous dans le même bateau. Alors j'ai jeté cette p... de bouteille, et ce p... d'alcool et tout et tout, et j'ai fais le ménage dans ma p... de vie, et j'ai balayé mes p... de mauvaises habitudes, et tout, et tout! Et maintenant, je suis un autre homme. Je me rend compte de tout le temps que je perdais, et de tout le fric que ça m'engloutissait. Maintenant, j'ai acheté un cochon-d'inde, qui s'appelle Bobby, et je fais des maquettes avec des cure-dents usagés, et je vais bientôt exposer mes maquettes à la foire régionale de Trouillis-en-Glottois. J'ai enfin trouvé un sens à ma vie. Et tout ça, c'est grâce aux GAGs ! Merci, merci, merci !" Et Robert fond en larmes.
"On applaudit tous Robert! (Tous en coeur) Bravo, Robert !"
Aujourd'hui, Robert fait de la poésie. L'odalisque dans son fauteuil coincée tenait en ses mains une feuille. "Savez-vous ce qu'est une métaphore?" La feuille de bananier, sans que soit jamais mentionné son usage canonique de camouflage en sculpture dans le style Antique, sera successivement comparée: à une langue pour la forme, à un miasme pour on ne sait quoi, à un blouson de cuir avec un Ange sur le dos pour le toucher, à une chair d'enfant pour l'odeur. A moins que ce ne soit l'inverse.

Des sommets en appelant d'autres, un souvenir confus fusa dans ma mémoire, deux vers presque inconnus, refrain inachevé, frais comme le hasard, moins écrit que rêvé:
"Le vent claque,
Les feuilles craquent,
Je les croque,
Cric ! Crac ! Croc !"
On touche à l'Himalaya. Merci Tom-Tom et Nana.

Tel une feuille morte, je craque lorque la Grâce nous fait lire du Byron. Je sors et je vais acheter des livres. A vélo, les pluies acides me fouettent le visage.

Morale de l'histoire: abandonnez les basiques, ouvrez-vous à l'acide, laissez tomber vos parapluies, laissez pleuvoir les commentaires, aujourd'hui pas de censure, aujourd'hui c'est dimanche, et comme chaque week-end, vous êtes les bienvenus aux Dimanches de la Poésie Acide !

mardi 20 avril 2010

Is there anybody out there?

Le monde a l'air de s'être arrêté. L'Europe n'est plus au bout du fil. Les vues du ciel montrent un ciel pur, mais on nous dit que des particules-voyous planent aux nues. Aux miradors, les régulateurs veillent, en attente de la circulaire libératrice. Les karchers sont au repos.

L'homme est comme ramené à sa terranéité, à la limitation dimensionnelle qui est après tout la plus simple manière de le différencier d'un requin et d'un vautour. Le ciel est bleu, mais sans accès. Un vent de paix souffle sur l'Europe.

De ce côté du globe, on s'est fait à l'inverse. Aux ciels pas très clairs, mais où ça passe quand même. On n'est jamais trop sûr du smog ou du vent de sable qui plane au-dessus de nos têtes, mais le pilote passe quoi qu'il arrive. Comment une bête perturbation atmosphérique arrêterait-elle sur sa lancée un pays qui s'est doté d'un bureau de Planification de la Météo?

Soudain ces deux antipodes redeviennent distants l'un de l'autre. Rejoindre l'Europe prend à nouveau plus de temps qu'une lettre à la poste. Seul le téléphone, le courriel nous relient au Vieux continent - et ce ne sont que du vent sur la plaine, des bits d'information, des suites de zéros et de uns.

Et figés dans l'attente, tels avant le duel final d'un western de l'immatérialité, on attend.

Is there anybody out there?

Le monde a l'air de s'être arrêté. L'Europe n'est plus au bout du fil. Les vues du ciel montrent un ciel pur, mais on nous dit que des particules-voyous planent aux nues. Aux miradors, les régulateurs veillent, en attente de la circulaire libératrice. Les karchers sont au repos.

L'homme est comme ramené à sa terranéité, à la limitation dimensionnelle qui est après tout la plus simple manière de le différencier d'un requin et d'un vautour. Le ciel est bleu, mais sans accès. Un vent de paix souffle sur l'Europe.

De ce côté du globe, on s'est fait à l'inverse. Aux ciels pas très clairs, mais où ça passe quand même. On n'est jamais trop sûr du smog ou du vent de sable qui plane au-dessus de nos têtes, mais le pilote passe quoi qu'il arrive. Comment une bête perturbation atmosphérique arrêterait-elle sur sa lancée un pays qui s'est doté d'un bureau de Planification de la Météo?

Soudain ces deux antipodes redeviennent distants l'un de l'autre. Rejoindre l'Europe prend à nouveau plus de temps qu'une lettre à la poste. Seul le téléphone, le courriel nous relient au Vieux continent - et ce ne sont que du vent sur la plaine, des bits d'information, des suites de zéros et de uns.

Et figés dans l'attente, tels avant le duel final d'un western de l'immatérialité, on attend.

dimanche 18 avril 2010

Deux pékins dans le Yunnan (4/4): Sur les contreforts de l’Himalaya

Jeudi 8 avril
Beau trajet vers Lijiang ; les champs sont noirs de monde. Dessin de leur bordure, géométrie de grande échelle. Zones de patchwork, où les aires des champs sont rayées de l’alternance 50-50 des bandes cultivées et des voies d’irrigation pleines de soleil.

Lijiang aussi touristique qu’on s’y attendait. D’un coup nous expédions nos emplettes : écharpes de soie, calligraphie, cartes postales…
Lijiang : le passé est le futur de la Chine.
"Les peuples heureux n’ont pas d’histoire" : quid de la Chine ?

Belle route de nouveau pour Shangri-la (anciennement "Zhongdian", rebaptisé philanthropiquement...) : ascension sinueuse vers des sommets enneigés.
Là, mal de tête léger. Pléthore de british blonds, sac-à-dos à dos.

Vendredi 9 avril
Shangri-la existe, je l’ai rencontré ; mais pas ici. Sur la route de Lijiang à Zhongdian – une vallée et sa rivière, des rizières vertes et ensoleillées, pas d’agitation. Qu’est le Shangri-la rêvé des Chinois ? Sans doute bien différent du nôtre : industrieux ? animé ? organisé/réglé ? une autre notion de l'harmonie ?

Visite au monastère de Songzanlin, prix éhonté. Versailles commence aussi par une billetterie.
Chemin de ronde autour du lac devant le monastère: "respectez les religions, attention sol glissant."
Monter, toujours monter… Les Chinois savent-ils descendre… ? Beauté de la descente, comme Stendhal qui dit-on trouvait du génie dans la manière d'une femme de descendre de voiture.

Office bouddhiste. Aux murs, des fresques chagalliennes. Travées de larges bancs coussinés où s’accroupir. Moines sur ces travées, face-à-face en rangs.
Un borborygme qui se répète, à peine psalmodié. Clochettes. Voix rauques, égrotantes des moines, des moinillons, interrompues de leurs raclements de gorge. Peu de conviction, peu de ferveur. Les diseurs se balancent en rauquisant.
A un coup de tambour, tous les plus jeunes sortent. Puis rentrent à nouveau. D’autres déjeunent dans une salle latérale.
Deux touristes Han : elle lui passe son Nikon, et hop trois prosternations. Pratique efficace du culte.
Sur la rotation: les Hans font tourner ce monastère, font tourner la Chine. Au centre de Shangri-la, au sommet d'une petite colline, contigu au temple sommital de rigueur, un moulin à prière géant. Deux petites filles (tibétaines?), dont les mères montent laborieusement l'escalier en répétant leurs prières à chaque marche, essaient de le mettre en mouvement. Je me fais leur bras. Dans son inertie, l'immense moulin aux dorures et svastikas tourne un long temps.
Cartes postales rédigées, c'est le tour des emplettes (boite à bijoux en corne de yak, vase craquelé à dragon bleu sur fond blanc...). Pesant mal de tête. L’avion décolle à 21h40. En attendant, deux chocolats chauds (vanille pour Papa, caramel pour moi) au Noah café.

A Kunming, l’hôtel donne sur le périph. Vacarme ; je dors dans la salle de bain. Fin de mes 23 ans.

Deux pékins dans le Yunnan (4/4): Sur les contreforts de l’Himalaya

Jeudi 8 avril
Beau trajet vers Lijiang ; les champs sont noirs de monde. Dessin de leur bordure, géométrie de grande échelle. Zones de patchwork, où les aires des champs sont rayées de l’alternance 50-50 des bandes cultivées et des voies d’irrigation pleines de soleil.

Lijiang aussi touristique qu’on s’y attendait. D’un coup nous expédions nos emplettes : écharpes de soie, calligraphie, cartes postales…
Lijiang : le passé est le futur de la Chine.
"Les peuples heureux n’ont pas d’histoire" : quid de la Chine ?

Belle route de nouveau pour Shangri-la (anciennement "Zhongdian", rebaptisé philanthropiquement...) : ascension sinueuse vers des sommets enneigés.
Là, mal de tête léger. Pléthore de british blonds, sac-à-dos à dos.

Vendredi 9 avril
Shangri-la existe, je l’ai rencontré ; mais pas ici. Sur la route de Lijiang à Zhongdian – une vallée et sa rivière, des rizières vertes et ensoleillées, pas d’agitation. Qu’est le Shangri-la rêvé des Chinois ? Sans doute bien différent du nôtre : industrieux ? animé ? organisé/réglé ? une autre notion de l'harmonie ?

Visite au monastère de Songzanlin, prix éhonté. Versailles commence aussi par une billetterie.
Chemin de ronde autour du lac devant le monastère: "respectez les religions, attention sol glissant."
Monter, toujours monter… Les Chinois savent-ils descendre… ? Beauté de la descente, comme Stendhal qui dit-on trouvait du génie dans la manière d'une femme de descendre de voiture.

Office bouddhiste. Aux murs, des fresques chagalliennes. Travées de larges bancs coussinés où s’accroupir. Moines sur ces travées, face-à-face en rangs.
Un borborygme qui se répète, à peine psalmodié. Clochettes. Voix rauques, égrotantes des moines, des moinillons, interrompues de leurs raclements de gorge. Peu de conviction, peu de ferveur. Les diseurs se balancent en rauquisant.
A un coup de tambour, tous les plus jeunes sortent. Puis rentrent à nouveau. D’autres déjeunent dans une salle latérale.
Deux touristes Han : elle lui passe son Nikon, et hop trois prosternations. Pratique efficace du culte.
Sur la rotation: les Hans font tourner ce monastère, font tourner la Chine. Au centre de Shangri-la, au sommet d'une petite colline, contigu au temple sommital de rigueur, un moulin à prière géant. Deux petites filles (tibétaines?), dont les mères montent laborieusement l'escalier en répétant leurs prières à chaque marche, essaient de le mettre en mouvement. Je me fais leur bras. Dans son inertie, l'immense moulin aux dorures et svastikas tourne un long temps.
Cartes postales rédigées, c'est le tour des emplettes (boite à bijoux en corne de yak, vase craquelé à dragon bleu sur fond blanc...). Pesant mal de tête. L’avion décolle à 21h40. En attendant, deux chocolats chauds (vanille pour Papa, caramel pour moi) au Noah café.

A Kunming, l’hôtel donne sur le périph. Vacarme ; je dors dans la salle de bain. Fin de mes 23 ans.

jeudi 15 avril 2010

Deux pékins au Yunnan (3/4): le paradis retrouvé

Lundi 5 avril
Yunnan capitale des papilles ! Petit-déjeuner de 包子 (Baozi, petits pains fourrés), puis 4 heures de car pour Yunlong. Paysages de montagnes, de rizières comme dans le Guizhou, mais sur une terre rouge. Au fond, une rivière boueuse : le Mékong ? Nouveau déjeuner délicieux (brocolis et haricots frits, bœuf coupiché). Le car malmène mon estomac.

Minibus aux prix irrationnels. Quelle rationalité quand l’étranger déverse ses pépettes ? Equivalent d’un loto permanent, ou en creux d’une rafale de crises financières.

Vue de Taijitu : la rivière dessine en deux méandres un yin et un yang. Au milieu : collines, village, rizières. C’est troublant.

Nous montons alors à Nuodeng, vieux village de l’ethnie Bai. L’atmosphère paisible, l’air calme et chaud, le son des clarines et le chant des oiseaux, la sienne de la terre et la pierre des bâtisses, l’escarpement des lieux, la paix des toits courbes, les tortueux escaliers de pierre, une vieille maison à cour tournée en chambres d’hôtes, les cris d’une école primaire, le sourire des enfants, le regard des vieillards et le soir qui descend nous convainquent d’y rester quelque temps.

En haut de la colline, non restauré, un temple de Confucius, au calme souverain.
Première leçon de Tai Chi Chuan : un tiers de la première partie. Tel un pantin, accroché aux « fils du Ciel »…
Il n’y a pas de temple plus beau en Chine, seulement des temples plus restaurés.
« Le Bouddhisme est l’Un [l’introspection], le Christianisme est le Deux [la relation à l’Autre]». Et le Taoïsme, le Zéro ?

Poules de basse-cour, poules de haute cour, caquètent.
Après nous être restaurés (辣猪et wosuan du village), lecture tranquille. Tee-shirt blanc séchant accroché flottant au fil à linge qui longe le premier étage d’un côté de cour.
La télé : seul objet dans le village dont le soir ne gêne pas l’utilisation. Le petit est devant la télé.
La poubelle du repas : la chienne de la maison, 13 ans, petite et tachetée. Son fils : un grand gros chien de 5 mois.
Les lanternes flottent dans le vent, au centre une bougie électrique.

Mardi 6 avril
Addition du dîner de la veille : 50 kuai. Le jardin donne des œufs d’or.

Balade dans les collines en face. Muletiers. Terre rouge sous le vert franc des pins, mise au jour dans les champs : sur les collines cultivées, de grandes plaques de terre ocre sont cernées de vert. C’est si beau qu’on se croirait dans le Sud de la France (dit-il l'air sérieux).

Les alentours aux jumelles : dans le rond de l’objectif, une forêt parfaite – pins réguliers sans trop l’être, d’un beau vert franc, aqueux, aux petites touffes blotties dans la distance.

Déjeuner : 方便面 (nouilles rapides) à Wangmusi. Une Chinoise comme on en fait peu : nez droit, front bombé au quart de tour – bien sûr l’œil pratique.

Beaucoup de chiens, qui protègent des intrus. Pays sur la défensive. Petit temple (d’où : 王母寺) : taoïste ? confucianiste ? Une villageoise d'une grande obligeance nous y accompagne car nous ne pouvons le trouver.

En revenant, une jeune fille nous invite à prendre le thé. Elle retient ses molosses pour nous laisser entrer. Jolie, vivante, visage à la fois tout en courbes et aux traits volontaires, souriante, arrivée ici l’an passé. Née à Nanning, dix années de jeunesse à Canton. Que viens-tu faire ici ?

On visite quelques maisons millénaires, juste comme ça. Beaux frontons. Dans l’une d’entre elles, une stèle datant des Ming, stèle bouddhiste, gardée par un couple de vieillards fiers. Six enfants. Lui soldat au Tibet en 1956. On dit bravo. Elle nous montre des chaussures de poupée : celles de sa grand-mère.

Rentrés : noix du jardin (un arbre : 15 jours de travail pour 1000-3000 kuai), dîner végétarien et tai-chi sur la terrasse. Le gouvernement donne aux villageois une subvention de 260 kuai par mu contre l’engagement de ne pas cultiver de maïs. Cela ne vaut pas pour les collines alentour, qui font du maïs sous la dépendance exclusive de la pluviométrie.

Le car est le cheval d’aujourd’hui : il travaille, je fatigue.
Trajet pénible vers Jianchuan. A la pause, excellentes galettes aux herbes ou à la confiture ( !), dans l’esprit des nan indiens. Panne de moteur et longue attente. Huit heures de route cahoteuse au lieu de cinq-six prévues.
 
A Jianchuan, aimable parc public avec pins, temple et pagodes. Dehors, une allée de pisé serpente parmi les maisons Ming et Qing. Pas grande finesse dans les sculptures, pas grande variété dans les motifs, mais une unique belle forme d’ensemble.

Deux pékins au Yunnan (3/4): le paradis retrouvé

Lundi 5 avril
Yunnan capitale des papilles ! Petit-déjeuner de 包子 (Baozi, petits pains fourrés), puis 4 heures de car pour Yunlong. Paysages de montagnes, de rizières comme dans le Guizhou, mais sur une terre rouge. Au fond, une rivière boueuse : le Mékong ? Nouveau déjeuner délicieux (brocolis et haricots frits, bœuf coupiché). Le car malmène mon estomac.

Minibus aux prix irrationnels. Quelle rationalité quand l’étranger déverse ses pépettes ? Equivalent d’un loto permanent, ou en creux d’une rafale de crises financières.

Vue de Taijitu : la rivière dessine en deux méandres un yin et un yang. Au milieu : collines, village, rizières. C’est troublant.

Nous montons alors à Nuodeng, vieux village de l’ethnie Bai. L’atmosphère paisible, l’air calme et chaud, le son des clarines et le chant des oiseaux, la sienne de la terre et la pierre des bâtisses, l’escarpement des lieux, la paix des toits courbes, les tortueux escaliers de pierre, une vieille maison à cour tournée en chambres d’hôtes, les cris d’une école primaire, le sourire des enfants, le regard des vieillards et le soir qui descend nous convainquent d’y rester quelque temps.

En haut de la colline, non restauré, un temple de Confucius, au calme souverain.
Première leçon de Tai Chi Chuan : un tiers de la première partie. Tel un pantin, accroché aux « fils du Ciel »…
Il n’y a pas de temple plus beau en Chine, seulement des temples plus restaurés.
« Le Bouddhisme est l’Un [l’introspection], le Christianisme est le Deux [la relation à l’Autre]». Et le Taoïsme, le Zéro ?

Poules de basse-cour, poules de haute cour, caquètent.
Après nous être restaurés (辣猪et wosuan du village), lecture tranquille. Tee-shirt blanc séchant accroché flottant au fil à linge qui longe le premier étage d’un côté de cour.
La télé : seul objet dans le village dont le soir ne gêne pas l’utilisation. Le petit est devant la télé.
La poubelle du repas : la chienne de la maison, 13 ans, petite et tachetée. Son fils : un grand gros chien de 5 mois.
Les lanternes flottent dans le vent, au centre une bougie électrique.

Mardi 6 avril
Addition du dîner de la veille : 50 kuai. Le jardin donne des œufs d’or.

Balade dans les collines en face. Muletiers. Terre rouge sous le vert franc des pins, mise au jour dans les champs : sur les collines cultivées, de grandes plaques de terre ocre sont cernées de vert. C’est si beau qu’on se croirait dans le Sud de la France (dit-il l'air sérieux).

Les alentours aux jumelles : dans le rond de l’objectif, une forêt parfaite – pins réguliers sans trop l’être, d’un beau vert franc, aqueux, aux petites touffes blotties dans la distance.

Déjeuner : 方便面 (nouilles rapides) à Wangmusi. Une Chinoise comme on en fait peu : nez droit, front bombé au quart de tour – bien sûr l’œil pratique.

Beaucoup de chiens, qui protègent des intrus. Pays sur la défensive. Petit temple (d’où : 王母寺) : taoïste ? confucianiste ? Une villageoise d'une grande obligeance nous y accompagne car nous ne pouvons le trouver.

En revenant, une jeune fille nous invite à prendre le thé. Elle retient ses molosses pour nous laisser entrer. Jolie, vivante, visage à la fois tout en courbes et aux traits volontaires, souriante, arrivée ici l’an passé. Née à Nanning, dix années de jeunesse à Canton. Que viens-tu faire ici ?

On visite quelques maisons millénaires, juste comme ça. Beaux frontons. Dans l’une d’entre elles, une stèle datant des Ming, stèle bouddhiste, gardée par un couple de vieillards fiers. Six enfants. Lui soldat au Tibet en 1956. On dit bravo. Elle nous montre des chaussures de poupée : celles de sa grand-mère.

Rentrés : noix du jardin (un arbre : 15 jours de travail pour 1000-3000 kuai), dîner végétarien et tai-chi sur la terrasse. Le gouvernement donne aux villageois une subvention de 260 kuai par mu contre l’engagement de ne pas cultiver de maïs. Cela ne vaut pas pour les collines alentour, qui font du maïs sous la dépendance exclusive de la pluviométrie.

Le car est le cheval d’aujourd’hui : il travaille, je fatigue.
Trajet pénible vers Jianchuan. A la pause, excellentes galettes aux herbes ou à la confiture ( !), dans l’esprit des nan indiens. Panne de moteur et longue attente. Huit heures de route cahoteuse au lieu de cinq-six prévues.
 
A Jianchuan, aimable parc public avec pins, temple et pagodes. Dehors, une allée de pisé serpente parmi les maisons Ming et Qing. Pas grande finesse dans les sculptures, pas grande variété dans les motifs, mais une unique belle forme d’ensemble.

mercredi 14 avril 2010

Deux pékins dans le Yunnan (2/4): les Birmans, c'est charmant

Jeudi 1er avril
Vol sans histoire pour Kunming. Les aventuriers sont fatigués.

Vendredi 2 avril: I'm flying in the rain
Début des ennuis : pluies diluviennes sur la région de Dehong, à la frontière birmane. Vol retardé de deux heures, on nous débarque, on nous rembarque, on décolle, presque arrivés on fait demi-tour, atterrissage à Kunming de nouveau, puis on redécolle pour Dehong où on atterrit avec cinq heures de retard.

30 kuai de taxi pour le centre-ville (10 minutes), puis 25 kuai de car pour Ruili (2 heures). Proportions?

Conversation avec une jeune Chinoise, qui a laissé sa place à une vieille dame dans le car. Du coup je dois me lever. Elle veut s’occuper de petits gamins (小玩玩儿), comme tout le monde elle fait des études d’Anglais. Yeux en noisettes jolies, tâches de rousseur. Politesse de convenance, j’espère avec un twist.

Ruili : ancien nœud du trafic de drogue; à présent ville très chinoise pour touristes chinois.

Samedi 3 avril: vélo et drogue (mais pas de dopage)
Propres d’une bonne douche et d’un somme de dix heures, nous partons à vélo. Bananiers, champs de théiers. Dépassés continuellement par voitures, camions, motocyclettes et ces étranges véhicules composés d’un moteur de tracteur, monté sur deux roues et dirigé par un guidon de Harley, et d’un caisson pour chargement.

Surplombant la route, un temple doré sous de vieux arbres. A droite, une maison de bois sur pilotis, ouverte sur l’air chaud. Maison idéale pour ce temps: fraîche, ventilée. Plus tard, un détour nous mène vers un village que nul ne peut situer sur une carte.
Après un délicieux déjeuner d’un bol de riz couvert de mets en buffet, dans une gargote achalandée extrêmement, nous partons pour Tengchong, six heures de car.

La route est belle. A la frontière d’un comté, des douaniers nous arrêtent et montent dans le car. Ils demandent à voir les hukou des Chinois et nos passeports, puis nous font descendre. Trois Chinois sont pris pour être interrogés. Pendant ce temps, le car est fouillé minutieusement.
Près d’arriver, deux des Chinois interrogés, un couple, nous aident pour l’hôtel. On leur échange 5 euros contre 50 kuai. Lui grand et large, montre en or et chevalière, pantalon Adidas, les traits droits et forts, elle régulière, femme chinoise la tête sur les épaules, belle qui le sait, frêle mais la voix de commandement. Nous partageons un taxi et descendons au même hôtel. Fondue chinoise au dîner.

Dimanche 4 avril: l'ascension et le Marais
Après des coups de téléphone sans nombre, j’apprends enfin que les liaisons pour la vallée de la Nujiang sont coupées. Nous nous attardons une demi-journée pour visiter la montagne sacrée (taoïste) de Yunfengshan. Paysage d’Auvergne. La montagne est plus abrupte au sommet, avec trois pics en couronne. Trinité ; un temple sur le plus haut des trois.
Un groupe de Chinois de l’Anhui monte avec nous les marches en nombre. Déjeuner végétarien dans le temple sommital et descente en téléphérique. Belles couleurs de la montagne, au pied la plaine, au loin monts de brume.
Sur la route pour Baoshan, nouveau contrôle antidrogue. La vie est dure. Sur le mur est écrit en gros caractères rouges : 拒绝毒品,珍爱生命(« refuser la drogue, chérir la vie » ). Mais la vie n'est-elle pas une drogue???

A Baoshan, on a déplacé la gare routière. Les nouilles de riz sont notre pain quotidien : une minute plongées dans l’eau chaude à la louche, coulées dans un bol, on ajoute du bouillon, des épices, viande et légumes.

Baoshan : la rue des Rosiers. Magasins de fringues, de grolles, de sacs, d’électronique. Avec quand même pas mal de coiffeurs et de boui-bouis. Un seul menu dans la ville : soupe de nouilles. Pourquoi ne font-ils rien d’autre ? Il est vrai que c’est drôlement bon…

Deux pékins dans le Yunnan (2/4): les Birmans, c'est charmant

Jeudi 1er avril
Vol sans histoire pour Kunming. Les aventuriers sont fatigués.

Vendredi 2 avril: I'm flying in the rain
Début des ennuis : pluies diluviennes sur la région de Dehong, à la frontière birmane. Vol retardé de deux heures, on nous débarque, on nous rembarque, on décolle, presque arrivés on fait demi-tour, atterrissage à Kunming de nouveau, puis on redécolle pour Dehong où on atterrit avec cinq heures de retard.

30 kuai de taxi pour le centre-ville (10 minutes), puis 25 kuai de car pour Ruili (2 heures). Proportions?

Conversation avec une jeune Chinoise, qui a laissé sa place à une vieille dame dans le car. Du coup je dois me lever. Elle veut s’occuper de petits gamins (小玩玩儿), comme tout le monde elle fait des études d’Anglais. Yeux en noisettes jolies, tâches de rousseur. Politesse de convenance, j’espère avec un twist.

Ruili : ancien nœud du trafic de drogue; à présent ville très chinoise pour touristes chinois.

Samedi 3 avril: vélo et drogue (mais pas de dopage)
Propres d’une bonne douche et d’un somme de dix heures, nous partons à vélo. Bananiers, champs de théiers. Dépassés continuellement par voitures, camions, motocyclettes et ces étranges véhicules composés d’un moteur de tracteur, monté sur deux roues et dirigé par un guidon de Harley, et d’un caisson pour chargement.

Surplombant la route, un temple doré sous de vieux arbres. A droite, une maison de bois sur pilotis, ouverte sur l’air chaud. Maison idéale pour ce temps: fraîche, ventilée. Plus tard, un détour nous mène vers un village que nul ne peut situer sur une carte.
Après un délicieux déjeuner d’un bol de riz couvert de mets en buffet, dans une gargote achalandée extrêmement, nous partons pour Tengchong, six heures de car.

La route est belle. A la frontière d’un comté, des douaniers nous arrêtent et montent dans le car. Ils demandent à voir les hukou des Chinois et nos passeports, puis nous font descendre. Trois Chinois sont pris pour être interrogés. Pendant ce temps, le car est fouillé minutieusement.
Près d’arriver, deux des Chinois interrogés, un couple, nous aident pour l’hôtel. On leur échange 5 euros contre 50 kuai. Lui grand et large, montre en or et chevalière, pantalon Adidas, les traits droits et forts, elle régulière, femme chinoise la tête sur les épaules, belle qui le sait, frêle mais la voix de commandement. Nous partageons un taxi et descendons au même hôtel. Fondue chinoise au dîner.

Dimanche 4 avril: l'ascension et le Marais
Après des coups de téléphone sans nombre, j’apprends enfin que les liaisons pour la vallée de la Nujiang sont coupées. Nous nous attardons une demi-journée pour visiter la montagne sacrée (taoïste) de Yunfengshan. Paysage d’Auvergne. La montagne est plus abrupte au sommet, avec trois pics en couronne. Trinité ; un temple sur le plus haut des trois.
Un groupe de Chinois de l’Anhui monte avec nous les marches en nombre. Déjeuner végétarien dans le temple sommital et descente en téléphérique. Belles couleurs de la montagne, au pied la plaine, au loin monts de brume.
Sur la route pour Baoshan, nouveau contrôle antidrogue. La vie est dure. Sur le mur est écrit en gros caractères rouges : 拒绝毒品,珍爱生命(« refuser la drogue, chérir la vie » ). Mais la vie n'est-elle pas une drogue???

A Baoshan, on a déplacé la gare routière. Les nouilles de riz sont notre pain quotidien : une minute plongées dans l’eau chaude à la louche, coulées dans un bol, on ajoute du bouillon, des épices, viande et légumes.

Baoshan : la rue des Rosiers. Magasins de fringues, de grolles, de sacs, d’électronique. Avec quand même pas mal de coiffeurs et de boui-bouis. Un seul menu dans la ville : soupe de nouilles. Pourquoi ne font-ils rien d’autre ? Il est vrai que c’est drôlement bon…

mardi 13 avril 2010

Deux pékins dans le Yunnan (1/4)


Ce nouveau récit débute comme une séance de cri primal, dont les adeptes cherchent dans la régression fœtale la résolution de leurs problèmes, ou comme les mots du Daodejing :

« Apprendre, c’est de jour en jour croître,
Suivre la Voie, c’est de jour en jour décroître,
Décroître au-delà du décroître :
Ne rien faire et il n’est rien qui ne se fasse ».

Ou encore, plus prosaïquement, comme nos bas de laine après la crise, comme les tours jumelles après le choc, et comme le génie de Ray Charles après qu’il a laissé tomber la poudre.

Décroissons ! Avec donc (beaucoup) plus de concision qu’au Guizhou, je vous laisse la bobine de mon dernier voyage, à vous de la rembobiner.

Elle commence à Pékin, quand mon père y arrive, et barre ensuite le Yunnan d’une diagonale Sud-Ouest Nord-Est, de la frontière birmane aux contreforts de l’Himalaya.

Deux pékins dans le Yunnan (1/4)


Ce nouveau récit débute comme une séance de cri primal, dont les adeptes cherchent dans la régression fœtale la résolution de leurs problèmes, ou comme les mots du Daodejing :

« Apprendre, c’est de jour en jour croître,
Suivre la Voie, c’est de jour en jour décroître,
Décroître au-delà du décroître :
Ne rien faire et il n’est rien qui ne se fasse ».

Ou encore, plus prosaïquement, comme nos bas de laine après la crise, comme les tours jumelles après le choc, et comme le génie de Ray Charles après qu’il a laissé tomber la poudre.

Décroissons ! Avec donc (beaucoup) plus de concision qu’au Guizhou, je vous laisse la bobine de mon dernier voyage, à vous de la rembobiner.

Elle commence à Pékin, quand mon père y arrive, et barre ensuite le Yunnan d’une diagonale Sud-Ouest Nord-Est, de la frontière birmane aux contreforts de l’Himalaya.

dimanche 11 avril 2010

Carnets, 22 février: sur les épaules du dragon (Longji)

Départ à 8h pour la dernière journée de ma traversée du Guizhou et du Guangxi. Le village de Ping'an dort encore. Pour rejoindre Dazhai, à travers collines et rizières, le Lonely Planet (holy planet !) indique cinq à six heures de marche, l'hôtelier me dit quatre, mes amis (qui ont fait cette randonnée le jour d'avant, donc la montagne n'a pas dû beaucoup changer) cinq heures sans sacs.
Je pars la queue qui frétille. La brume de la veille s'est dissipée, la bruine a cessé, et il fait grand beau. La soleil, qui semble vraiment n'avoir rien à foutre, joue sur les rizières qui s'étalent sur des pentes vertigineuses. Elles ont, paraît-il, 600 ans d'âge et jusqu'à 1000 mètres de dénivelé.

Les petites vieilles
Et puis les ennuis commencent. Je croise une petite vieille au panier, en costume bien tradi. C'est louche. Et ça n'y manque pas: elles vient me vendre des babioles. Je l'éconduis.

Les petites vieilles se succèdent. Mon amabilité, déjà glaciaire, décroît de l'une à l'autre jusqu'à asymptoter le zéro absolu. Même costume, même coiffure (longue natte ramenée sur la tête), même vocabulaire: "hello !", "you go Dazhai?". Ca réussit à me foutre en rogne.

C'est alors que j'arrive simultanément au village des menteurs et à l'acmé de mon ressentiment. De manière générale, la sagesse élémentaire veut que l'on se méfie des femmes. Mais dans ce coin, ne pas leur dire un mot ! Toutes, elles n'ont en tête que cette idée, de tondre, de traire, d'extorquer !
A Zhongliu, beau village de bois, je suis face à deux grand-mères et une mère de famille. Les premières veulent me servir de guide et me fourguer leurs babioles, l'autre veut me absolument de "donner" à manger. Et comme j'insiste pour demander le chemin, elles m'indiquent une voie manifestement fausse.
Je n'en fais qu'à ma tête et monte dans le village en pente raide. En haut, je croise un homme; il m'indique la direction de Dazhai.

En chatouillant le dragon
Je reprends ma route. Venant de la direction opposée, deux vieilles ont eu du succès: à elles deux, elles portent sur leurs balancières les sacs de quatre promeneurs. Ceux-ci suivent, essouflés, en sueur, échevelés. Ils me disent que Dazhai n'est pas loin, à une heure de là. Je marche depuis deux heures, en tout cela fera trois; au moins je ne manquerai pas mon vol, ce soir à Guilin !

Je fais donc ma pause casse-croûte tout de suite, avec vue plongeante sur les rizières.
Elles ont visiblement eu à coeur de conquérir chaque pousse carré du paysage !
Rizières éblouies...
Un jeune me dépasse, son portable en mode mp3 gueule une chanson de variété chinoise. Je le rattrape après manger (il a éteint sa musique...) et nous descendons ensemble sur Dazhai, où il rejoint un ami.
Dazhai est encore plus touristique que Ping'an. Les vieilles en costume abondent, les boutiques de souvenirs fleurissent.

Comme j'arrive au parking, un jeune couple d'Italiens me demande, l'air un peu perdu, s'il est nécessaire de prendre un guide pour rejoindre le village. Le chemin va tout droit, mais ça ne se voit pas d'ici. Evidemment que ces guides sont des voleurs.

Comme quoi le flot de devises étrangères peut faire toute la différence entre le merveilleux accueil que j'ai reçu à Chong'an ou Yangmen, et la hargne commerçante, avide, mensongère de Ping'an ou Dazhai. Dans un écrin sublime, mais bon... Navette pour Guilin.

Derniers mètres
Je suis sur le point de retourner à la civilisation. Cela se sent dans le trafic impossible. Je prends un taxi pour l'aéroport, et nous passons entre ces étonnants "pains de sucre" auxquels l'urbanisation vient se heurter avant de les circonscrire.

Leur verticalité miraculeuse n'est pas à sa place dans les faubourgs quelconques de Guilin, comme un accès de nature, comme une réaction épidermique de la Terre au fracas pollué des banlieues grises.

Je conclus ces lignes, et je m'envole pour le bercail. 辛苦了!

Carnets, 22 février: sur les épaules du dragon (Longji)

Départ à 8h pour la dernière journée de ma traversée du Guizhou et du Guangxi. Le village de Ping'an dort encore. Pour rejoindre Dazhai, à travers collines et rizières, le Lonely Planet (holy planet !) indique cinq à six heures de marche, l'hôtelier me dit quatre, mes amis (qui ont fait cette randonnée le jour d'avant, donc la montagne n'a pas dû beaucoup changer) cinq heures sans sacs.
Je pars la queue qui frétille. La brume de la veille s'est dissipée, la bruine a cessé, et il fait grand beau. La soleil, qui semble vraiment n'avoir rien à foutre, joue sur les rizières qui s'étalent sur des pentes vertigineuses. Elles ont, paraît-il, 600 ans d'âge et jusqu'à 1000 mètres de dénivelé.

Les petites vieilles
Et puis les ennuis commencent. Je croise une petite vieille au panier, en costume bien tradi. C'est louche. Et ça n'y manque pas: elles vient me vendre des babioles. Je l'éconduis.

Les petites vieilles se succèdent. Mon amabilité, déjà glaciaire, décroît de l'une à l'autre jusqu'à asymptoter le zéro absolu. Même costume, même coiffure (longue natte ramenée sur la tête), même vocabulaire: "hello !", "you go Dazhai?". Ca réussit à me foutre en rogne.

C'est alors que j'arrive simultanément au village des menteurs et à l'acmé de mon ressentiment. De manière générale, la sagesse élémentaire veut que l'on se méfie des femmes. Mais dans ce coin, ne pas leur dire un mot ! Toutes, elles n'ont en tête que cette idée, de tondre, de traire, d'extorquer !
A Zhongliu, beau village de bois, je suis face à deux grand-mères et une mère de famille. Les premières veulent me servir de guide et me fourguer leurs babioles, l'autre veut me absolument de "donner" à manger. Et comme j'insiste pour demander le chemin, elles m'indiquent une voie manifestement fausse.
Je n'en fais qu'à ma tête et monte dans le village en pente raide. En haut, je croise un homme; il m'indique la direction de Dazhai.

En chatouillant le dragon
Je reprends ma route. Venant de la direction opposée, deux vieilles ont eu du succès: à elles deux, elles portent sur leurs balancières les sacs de quatre promeneurs. Ceux-ci suivent, essouflés, en sueur, échevelés. Ils me disent que Dazhai n'est pas loin, à une heure de là. Je marche depuis deux heures, en tout cela fera trois; au moins je ne manquerai pas mon vol, ce soir à Guilin !

Je fais donc ma pause casse-croûte tout de suite, avec vue plongeante sur les rizières.
Elles ont visiblement eu à coeur de conquérir chaque pousse carré du paysage !
Rizières éblouies...
Un jeune me dépasse, son portable en mode mp3 gueule une chanson de variété chinoise. Je le rattrape après manger (il a éteint sa musique...) et nous descendons ensemble sur Dazhai, où il rejoint un ami.
Dazhai est encore plus touristique que Ping'an. Les vieilles en costume abondent, les boutiques de souvenirs fleurissent.

Comme j'arrive au parking, un jeune couple d'Italiens me demande, l'air un peu perdu, s'il est nécessaire de prendre un guide pour rejoindre le village. Le chemin va tout droit, mais ça ne se voit pas d'ici. Evidemment que ces guides sont des voleurs.

Comme quoi le flot de devises étrangères peut faire toute la différence entre le merveilleux accueil que j'ai reçu à Chong'an ou Yangmen, et la hargne commerçante, avide, mensongère de Ping'an ou Dazhai. Dans un écrin sublime, mais bon... Navette pour Guilin.

Derniers mètres
Je suis sur le point de retourner à la civilisation. Cela se sent dans le trafic impossible. Je prends un taxi pour l'aéroport, et nous passons entre ces étonnants "pains de sucre" auxquels l'urbanisation vient se heurter avant de les circonscrire.

Leur verticalité miraculeuse n'est pas à sa place dans les faubourgs quelconques de Guilin, comme un accès de nature, comme une réaction épidermique de la Terre au fracas pollué des banlieues grises.

Je conclus ces lignes, et je m'envole pour le bercail. 辛苦了!

jeudi 1 avril 2010

Ca décoiffe

Et je précise: ce n'est pas un poisson d'avril.

Ca décoiffe

Et je précise: ce n'est pas un poisson d'avril.

Sur les chapeaux de roues

Et voilà, ça devait arriver ! Je n'ai même pas le temps de finir de déblatérer sur le Guizhou que déjà je suis reparti !

Mon père est arrivé samedi dernier à Pékin et a démontré, au contraire de la pile Zener (qui ne s'use que si l'on s'en sert), ce que c'était qu'une montée en puissance ! Après un stage d'aspiration bucolique au farniente, il tangente à présent la frénésie incontrôlable du touriste japonais en Europe: jour 1 Paris, jour 2 Londres, jour 3 Rome, jour 4 retour au Japon. 2000 photos.

Tout y est passé: hutongs et boulevards, cohue et lieux paisibles, culture intellectuelle (mais pas trop) et culture physique (mais pas trop), d'Est en Ouest et du Nord au Sud, ou l'inverse. Et ce soir, foin du pré au vache, on s'envole pour l'inconnu.

Je n'avais pas prévu, faut-il le dire, que mon permis pour les plateaux himalayens me serait refusé trois jours avant le départ. Un cogitage intense, des consultations dignes du débit de l'AP, et un aléa savamment maîtrisé ont pointé soudain, sur une mappemonde mise en rotation d'une impulsion volontaire et stoppée dans son élan par la pose d'un doigt délicat, l'extrême ouest du Yunnan. Quelle idée.

Encore un coin où personne ne va. C'est un vrai sacerdoce, une vocation, que de faire monter les statistiques. Deux voyageurs (soit 200% d'augmentation) débarquerons donc, si Dieu le veut, demain au pied des volcans birmans et remonteront valeureusement la vallée de la Nujiang (dézoomez pour voir). Si vous ne voyez rien sur la carte c'est normal, il n'y a pas grand'chose. C'est pas rassurant pour autant.

Ah si quand même, autant vous le dire: le premier projet en Chine de l'Agence Française de Développement, qui maintenant sauve la planète en évitant du CO2, c'était de construire dans ces belles collines... une autoroute. Et y'en a qui disent que la grandeur de la France est derrière nous.

Sur ce je vous laisse, les moteurs de l'avion chauffent déjà sur le tarmac et de beaux nuages gonflés d'une eau claire n'attendent que nous pour se percer en une semaine de douces averses.

Restez en ligne, je reviens après une page de pub. Et Victor, te fatigue pas trop sur la plage.

Sur les chapeaux de roues

Et voilà, ça devait arriver ! Je n'ai même pas le temps de finir de déblatérer sur le Guizhou que déjà je suis reparti !

Mon père est arrivé samedi dernier à Pékin et a démontré, au contraire de la pile Zener (qui ne s'use que si l'on s'en sert), ce que c'était qu'une montée en puissance ! Après un stage d'aspiration bucolique au farniente, il tangente à présent la frénésie incontrôlable du touriste japonais en Europe: jour 1 Paris, jour 2 Londres, jour 3 Rome, jour 4 retour au Japon. 2000 photos.

Tout y est passé: hutongs et boulevards, cohue et lieux paisibles, culture intellectuelle (mais pas trop) et culture physique (mais pas trop), d'Est en Ouest et du Nord au Sud, ou l'inverse. Et ce soir, foin du pré au vache, on s'envole pour l'inconnu.

Je n'avais pas prévu, faut-il le dire, que mon permis pour les plateaux himalayens me serait refusé trois jours avant le départ. Un cogitage intense, des consultations dignes du débit de l'AP, et un aléa savamment maîtrisé ont pointé soudain, sur une mappemonde mise en rotation d'une impulsion volontaire et stoppée dans son élan par la pose d'un doigt délicat, l'extrême ouest du Yunnan. Quelle idée.

Encore un coin où personne ne va. C'est un vrai sacerdoce, une vocation, que de faire monter les statistiques. Deux voyageurs (soit 200% d'augmentation) débarquerons donc, si Dieu le veut, demain au pied des volcans birmans et remonteront valeureusement la vallée de la Nujiang (dézoomez pour voir). Si vous ne voyez rien sur la carte c'est normal, il n'y a pas grand'chose. C'est pas rassurant pour autant.

Ah si quand même, autant vous le dire: le premier projet en Chine de l'Agence Française de Développement, qui maintenant sauve la planète en évitant du CO2, c'était de construire dans ces belles collines... une autoroute. Et y'en a qui disent que la grandeur de la France est derrière nous.

Sur ce je vous laisse, les moteurs de l'avion chauffent déjà sur le tarmac et de beaux nuages gonflés d'une eau claire n'attendent que nous pour se percer en une semaine de douces averses.

Restez en ligne, je reviens après une page de pub. Et Victor, te fatigue pas trop sur la plage.