mardi 30 mars 2010

Carnets, 21 février : Sept sur deux roues (Chengyang)

A sept, nous louons des vélos.
Pas de vitesses ou plus de freins, il faut choisir. On passe tout ça à la clef à molette et c’est parti. Mais qui sont ces gens? Nos coeurs sont consacrés pour les uns à l'architecture, pour d'autres au soin des malades, pour les derniers au sauvetage de la planète, et, pour ma part, à la dégustation de choucroute.
En suivant la rivière, on se perd un peu dans les villages Dong qui s’y accrochent. Tous se font un honneur de ressembler au paradis terrestre, mais sans les deux à poil (en tout cas on ne les a pas vus).
Ce matin, l’art à l’honneur est l’architecture. Pas un clou, pas une vis. Comme le gars qui fait du vélo sans les pieds... sans les mains... sans les dents...
Cette tour du tambour où j’étais hier soir fait 23 mètres de haut. Elle repose, nous dit un vieil homme, sur quatre troncs d’ « arbre des forêts » (林树) – nos esprits sherlockholmesques en déduisent : de pin. A l’approche du faîte, une croisée transversale soutient une poutre centrale qui porte la pointe du chapiteau.
Avant de sortir, nous glissons un billet dans une urne et marquons nos noms sur une feuille. Les sommes sont gravées plus tard en regard des noms sur de grandes plaques noires.

Contre un mur, des lusheng sont remisés, cet instrument dont les tuyaux parallèles peuvent émettre chacun leur note en même temps - leur puissance de cacophonie avoisine celle d'un âne du Poitou. C'est dire. Sur le Mont de la Lune, je les avais vus en action.
Notre route nous mène à Guandong, via Pingzhai (平寨), « village paisible », et Dazhai (大寨), le « grand village », traduit comme… village Da !

La fois où j'ai fait du sport en Chine
En chemin, on joue avec des gosses sur la place du village, c'est-à-dire sur le terrain de basket: on court à vélo derrière eux qui s'enfuient en riant. Preuves accablantes en photos.

Ils sont au pied du mur / d'une tour Dong / du panier de basket.
Quand on les poursuit, ils s'enfuient.
Quand on s'arrête, ils rigolent.
Quand on les fixe, ils se prennent pour les Dalton. Averell est sur la droite.
Et pendant ce temps, le reste de la troupe prend la chose avec philosophie.
Nous mangeons derrière un 小卖部 (bazar) ; dans la belle salle commune d’une grange, deux femmes Dong nous préparent une fondue, à vrai dire excellente. Au fond de la pièces, trois immenses woks encastrés servent, nous dit-on, à l’occasion des fêtes. Au centre de la pièce, la traditionnelle table de deux demi-lunes. Bien sûr la télé !

Image du bonheur: dans un coin de la pièce, un porc bien gras dort du sommeil du juste, baigné d’un trapèze de soleil. Près de lui, sous l’escalier, les volailles caquètent.
La lumière de cette pénombre vient, qui de briques ôtées régulièrement au mur de soubassement, qui de belles fenêtres ornementées d’une « ferronnerie » de terre sèche. De la même manière qu'une taxonomie du vêtement de plage distingue le bikini du monokini et du zérokini, la science des fenêtre oppose au simple et au double vitrage ce qui se nomme le "zérovitrage".

Et faites péter le dragon
Après le repas, je laisse mes amis continuer la balade et je rentre au galop, attraper la navette pour San-ts’iang puis celle pour les rizières de Longji (Long-ts’i, 龙脊), c’est-à-dire en « épine dorsale de dragon ».

J’y arrive à la nuit tombante. Brume et pluie. Je me promène un temps en surplomb de paysages irréels, face au non-être. J'ai la dalle, aussi. J’ai les jetons métaphysiques pour ma balade du lendemain – six heures de marche dans le brouillard et sous la pluie ?

Pour me remettre du néant, je m’enfile quelques spécialités du lieu : riz cuit dans une tige de bambou (竹同反), poireau à l’œuf, thé vert de Longji.

(Passer par la case départ et lire la suite)

Carnets, 21 février : Sept sur deux roues (Chengyang)

A sept, nous louons des vélos.
Pas de vitesses ou plus de freins, il faut choisir. On passe tout ça à la clef à molette et c’est parti. Mais qui sont ces gens? Nos coeurs sont consacrés pour les uns à l'architecture, pour d'autres au soin des malades, pour les derniers au sauvetage de la planète, et, pour ma part, à la dégustation de choucroute.
En suivant la rivière, on se perd un peu dans les villages Dong qui s’y accrochent. Tous se font un honneur de ressembler au paradis terrestre, mais sans les deux à poil (en tout cas on ne les a pas vus).
Ce matin, l’art à l’honneur est l’architecture. Pas un clou, pas une vis. Comme le gars qui fait du vélo sans les pieds... sans les mains... sans les dents...
Cette tour du tambour où j’étais hier soir fait 23 mètres de haut. Elle repose, nous dit un vieil homme, sur quatre troncs d’ « arbre des forêts » (林树) – nos esprits sherlockholmesques en déduisent : de pin. A l’approche du faîte, une croisée transversale soutient une poutre centrale qui porte la pointe du chapiteau.
Avant de sortir, nous glissons un billet dans une urne et marquons nos noms sur une feuille. Les sommes sont gravées plus tard en regard des noms sur de grandes plaques noires.

Contre un mur, des lusheng sont remisés, cet instrument dont les tuyaux parallèles peuvent émettre chacun leur note en même temps - leur puissance de cacophonie avoisine celle d'un âne du Poitou. C'est dire. Sur le Mont de la Lune, je les avais vus en action.
Notre route nous mène à Guandong, via Pingzhai (平寨), « village paisible », et Dazhai (大寨), le « grand village », traduit comme… village Da !

La fois où j'ai fait du sport en Chine
En chemin, on joue avec des gosses sur la place du village, c'est-à-dire sur le terrain de basket: on court à vélo derrière eux qui s'enfuient en riant. Preuves accablantes en photos.

Ils sont au pied du mur / d'une tour Dong / du panier de basket.
Quand on les poursuit, ils s'enfuient.
Quand on s'arrête, ils rigolent.
Quand on les fixe, ils se prennent pour les Dalton. Averell est sur la droite.
Et pendant ce temps, le reste de la troupe prend la chose avec philosophie.
Nous mangeons derrière un 小卖部 (bazar) ; dans la belle salle commune d’une grange, deux femmes Dong nous préparent une fondue, à vrai dire excellente. Au fond de la pièces, trois immenses woks encastrés servent, nous dit-on, à l’occasion des fêtes. Au centre de la pièce, la traditionnelle table de deux demi-lunes. Bien sûr la télé !

Image du bonheur: dans un coin de la pièce, un porc bien gras dort du sommeil du juste, baigné d’un trapèze de soleil. Près de lui, sous l’escalier, les volailles caquètent.
La lumière de cette pénombre vient, qui de briques ôtées régulièrement au mur de soubassement, qui de belles fenêtres ornementées d’une « ferronnerie » de terre sèche. De la même manière qu'une taxonomie du vêtement de plage distingue le bikini du monokini et du zérokini, la science des fenêtre oppose au simple et au double vitrage ce qui se nomme le "zérovitrage".

Et faites péter le dragon
Après le repas, je laisse mes amis continuer la balade et je rentre au galop, attraper la navette pour San-ts’iang puis celle pour les rizières de Longji (Long-ts’i, 龙脊), c’est-à-dire en « épine dorsale de dragon ».

J’y arrive à la nuit tombante. Brume et pluie. Je me promène un temps en surplomb de paysages irréels, face au non-être. J'ai la dalle, aussi. J’ai les jetons métaphysiques pour ma balade du lendemain – six heures de marche dans le brouillard et sous la pluie ?

Pour me remettre du néant, je m’enfile quelques spécialités du lieu : riz cuit dans une tige de bambou (竹同反), poireau à l’œuf, thé vert de Longji.

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lundi 29 mars 2010

Carnets, 20 février (2/2): Des monts, des ponts, des Dong (Chengyang)

Ce qu’on dit qui est beau à Chengyang (称阳), c’est le pont. On appelle ça le pont de Chengyang. 12 ans pour le construire au-dessus de la rivière, tout de bois vêtu, et sans tenon ni mortaise (ne me demandez pas ce que c’est). Mon cœur d’Ingénieur des Ponts s’émeut. C’est beau.
Des amis français doivent arriver de Guilin ce soir ; en les attendant, je pose mes valises dans une auberge de jeunesse et fais le tour du joli village de Ma’an (马安) : collines, rivière, maisons de bois, tour du tambour et ponts du vent et de la pluie, peu à peu happées dans le soir.
Sur la place du village, spectacle folklo qui passionne les foules. Les appareils photo crépitent au son des lusheng. Je photographie les photographes et ça les fait rire. Des petites vieilles ont trouvé le truc : elles se courbent l’échine et prennent un air implorant pour te glisser leurs babioles sous le nez. Et ça marche ! Pour se reposer, elles se redressent.
Je quitte ce double spectacle. Dans une tour du tambour, des anciens jouent à une sorte de morpion. J’essaie de comprendre. On m’apporte gentiment un verre d’eau tiède et j’y trempe les lèvres. Beaucoup de rires et de grands gestes autour de ce jeu incompréhensible !
Une Allemande et une jeune Chinoise se joignent au groupe. L’une passe un mois dans le Sud de la Chine, l’autre est en stage dans le Guangxi. Dur, dur , de faire revenir mon Allemand !

Plus tard, mes amis sont arrivés et nous dînons ensemble. Ces hérauts de la Franche-Comté ont sur eux (élément vital !) … du comté ! Apéritif sans égal ! Voilà mon premier repas où je ne sois ni dans une famille chinoise, ni seul au restaurant. Je dois dire que j’apprécie !

(Passer par la case départ et lire la suite)

Carnets, 20 février (2/2): Des monts, des ponts, des Dong (Chengyang)

Ce qu’on dit qui est beau à Chengyang (称阳), c’est le pont. On appelle ça le pont de Chengyang. 12 ans pour le construire au-dessus de la rivière, tout de bois vêtu, et sans tenon ni mortaise (ne me demandez pas ce que c’est). Mon cœur d’Ingénieur des Ponts s’émeut. C’est beau.
Des amis français doivent arriver de Guilin ce soir ; en les attendant, je pose mes valises dans une auberge de jeunesse et fais le tour du joli village de Ma’an (马安) : collines, rivière, maisons de bois, tour du tambour et ponts du vent et de la pluie, peu à peu happées dans le soir.
Sur la place du village, spectacle folklo qui passionne les foules. Les appareils photo crépitent au son des lusheng. Je photographie les photographes et ça les fait rire. Des petites vieilles ont trouvé le truc : elles se courbent l’échine et prennent un air implorant pour te glisser leurs babioles sous le nez. Et ça marche ! Pour se reposer, elles se redressent.
Je quitte ce double spectacle. Dans une tour du tambour, des anciens jouent à une sorte de morpion. J’essaie de comprendre. On m’apporte gentiment un verre d’eau tiède et j’y trempe les lèvres. Beaucoup de rires et de grands gestes autour de ce jeu incompréhensible !
Une Allemande et une jeune Chinoise se joignent au groupe. L’une passe un mois dans le Sud de la Chine, l’autre est en stage dans le Guangxi. Dur, dur , de faire revenir mon Allemand !

Plus tard, mes amis sont arrivés et nous dînons ensemble. Ces hérauts de la Franche-Comté ont sur eux (élément vital !) … du comté ! Apéritif sans égal ! Voilà mon premier repas où je ne sois ni dans une famille chinoise, ni seul au restaurant. Je dois dire que j’apprécie !

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Carnets, 20 février (1/2): Plus ça change et plus c'est la même chose

Comme le dit l’autre mec, rien n’est jamais acquis à l’homme. Tout fort de mes heures de vol sans nombre en bus, la facilité à laquelle je me croyais rompu part en fumée comme une promesse de politicien, ou comme cette fumée du marché matinal à Zhaoxing.
Il faut que je me rende au pont de Chengyang (Tcheung-yang, 称阳), via la ville de Sanjiang (San-ts’iang, 三江), ville « des trois fleuves ». J'attend le bus au milieu des commerçants en plein marché.
Mais soudain les deux bus de 8 et 9 heures n’existent plus, et me voilà en rade sur la grand’rue de Zhaoxing, voyant passer les heures à discutailler avec les commerçants du marché…
Enfin je hèle un bus pour Diping, et me voici sur la route de Sanjiang.

Et là c’est le nœud gordien. Comprenez que Diping est certes sur le chemin de Sanjiang, mais qu’elle est sise sur une rivière et qu’un pont sépare les deux rives, trop fragile pour qu’un bus y passe… On nous débarque. Je traverse le pont, pensant trouver une sorte de gare routière de l’autre côté. Naïveté ! Des motards m’expliquent fort obligeamment qu’aucun bus ne part de Diping, et qu’en vérité la meilleure solution est de recourir à leurs services : pour 20 kuai, ils me déposent au carrefour suivant où, me disent-ils, « les bus sont bien plus nombreux ».

Comme d’habitude avec un Chinois qui a quelque chose à vendre, je ne fais pas confiance, et comme d’habitude quand je me défie d’une situation, je file acheter des clémentines. Le temps d’alourdir mes poches d’une demi-douzaine de clémentines de Tsong-ts’iang, et comme je retraverse le pont j’avise un bus sur le départ. Je cours et le happe au vol. Oui, il va à San-ts’iang. Les Chinois me fatiguent.

Et en fait non, il n’y va pas. Après une demi-heure de route, tous les passagers descendent du bus d’un même mouvement, aussi naturel pour eux que mystérieux pour moi, marchent cent mètres dans le village, traversent un pont de bois et montent dans un autre bus qui les attendait et dont vraisemblablement les passagers ont emprunté le trajet inverse du nôtre. C’est sûr que c’est drôlement plus simple que de remplacer un pont de cinq mètres en bois par un pont de cinq mètres en béton.

Arrivé à la tumultueuse San-ts’iang, descente de bus, traversée du fleuve, changement de gare routière, montée en bus et départ pour le pont de Chengyang.
Nous y serions arrivés sans encombre, j’aurais seulement pensé que les Chinois de cette contrée avaient un problème avec les ponts. Ils semblent en fait qu’ils aient un problème avec les transports en général.

A mi-route, arrêt brusque. Devant nous, une file indienne (chinoise ?) de voitures et de camions s’étire ininterrompue, à perte de vue. Le chauffeur coupe le moteur. On me dit que cela doit être à cause d’un accident. Je descends voir.
L’accident en question, c’est une mobylette percutée par une camionnette. Bilan sur une route de campagne peu fréquentée : 1 km de bouchon. Je me demande ce qui arrive lorsqu’un vrai accident se produit. La Chine arrête de rouler pendant une heure ?

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Carnets, 20 février (1/2): Plus ça change et plus c'est la même chose

Comme le dit l’autre mec, rien n’est jamais acquis à l’homme. Tout fort de mes heures de vol sans nombre en bus, la facilité à laquelle je me croyais rompu part en fumée comme une promesse de politicien, ou comme cette fumée du marché matinal à Zhaoxing.
Il faut que je me rende au pont de Chengyang (Tcheung-yang, 称阳), via la ville de Sanjiang (San-ts’iang, 三江), ville « des trois fleuves ». J'attend le bus au milieu des commerçants en plein marché.
Mais soudain les deux bus de 8 et 9 heures n’existent plus, et me voilà en rade sur la grand’rue de Zhaoxing, voyant passer les heures à discutailler avec les commerçants du marché…
Enfin je hèle un bus pour Diping, et me voici sur la route de Sanjiang.

Et là c’est le nœud gordien. Comprenez que Diping est certes sur le chemin de Sanjiang, mais qu’elle est sise sur une rivière et qu’un pont sépare les deux rives, trop fragile pour qu’un bus y passe… On nous débarque. Je traverse le pont, pensant trouver une sorte de gare routière de l’autre côté. Naïveté ! Des motards m’expliquent fort obligeamment qu’aucun bus ne part de Diping, et qu’en vérité la meilleure solution est de recourir à leurs services : pour 20 kuai, ils me déposent au carrefour suivant où, me disent-ils, « les bus sont bien plus nombreux ».

Comme d’habitude avec un Chinois qui a quelque chose à vendre, je ne fais pas confiance, et comme d’habitude quand je me défie d’une situation, je file acheter des clémentines. Le temps d’alourdir mes poches d’une demi-douzaine de clémentines de Tsong-ts’iang, et comme je retraverse le pont j’avise un bus sur le départ. Je cours et le happe au vol. Oui, il va à San-ts’iang. Les Chinois me fatiguent.

Et en fait non, il n’y va pas. Après une demi-heure de route, tous les passagers descendent du bus d’un même mouvement, aussi naturel pour eux que mystérieux pour moi, marchent cent mètres dans le village, traversent un pont de bois et montent dans un autre bus qui les attendait et dont vraisemblablement les passagers ont emprunté le trajet inverse du nôtre. C’est sûr que c’est drôlement plus simple que de remplacer un pont de cinq mètres en bois par un pont de cinq mètres en béton.

Arrivé à la tumultueuse San-ts’iang, descente de bus, traversée du fleuve, changement de gare routière, montée en bus et départ pour le pont de Chengyang.
Nous y serions arrivés sans encombre, j’aurais seulement pensé que les Chinois de cette contrée avaient un problème avec les ponts. Ils semblent en fait qu’ils aient un problème avec les transports en général.

A mi-route, arrêt brusque. Devant nous, une file indienne (chinoise ?) de voitures et de camions s’étire ininterrompue, à perte de vue. Le chauffeur coupe le moteur. On me dit que cela doit être à cause d’un accident. Je descends voir.
L’accident en question, c’est une mobylette percutée par une camionnette. Bilan sur une route de campagne peu fréquentée : 1 km de bouchon. Je me demande ce qui arrive lorsqu’un vrai accident se produit. La Chine arrête de rouler pendant une heure ?

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samedi 27 mars 2010

Carnets, 19 février (4/4): Quand Dong fâchée, ciel se voile

Je croise une petite Dong qui pleure. Le ciel se fronce et s’obscurcit de nuages. On ne peut pas arrêter la petite. Beuglante elle mène à travers le village de Tang'an la famille dans son sillage. Quand je croise le convoi processionnel, la grand-mère en appelle à moi, le laowai et mes tablettes de grand médecin. Je fais donc le méchant étranger, aux sourcils sévères, à la voix grave et lourde de reproches, et la petite (étonnement ? simagrée ? fierté ? un peu peur quand même ?) arrête ses pleurs. Je devrais créer un numéro vert, du genre de SOS détresse amitié : "1,20€ la minute pour calmer la marmaille." La grand-mère me sourit d’un large sourire aux dents blanches.

Sur la place du village, devant l'unique tour du tambour, les femmes lavent fruits et légumes, comme des lavandières en rond autour d'une mare.
Le ciel est libre de nouveau ; déjà le soleil se couche au loin dans les montagnes. Les plus distantes ne sont qu’une coloration grise du ciel. Au pied du village de Tang'an, les rizières descendent la vallée jusqu’à Zhaoxing dont on devine le désordre des toits. On a allumé des feux pour la cuisine, on discute sous les toits; un vaste murmure monte de la place du village. Dans la clarté rose et orangée qui baigne à présent le ciel, je m’assieds sur un promontoire, et j'épépine des clémentines de Tsong-ts’iang dans la grande clameur du soir.

Sous cette clarté obscure
Je redescends sur Zhaoxing à la nuit tombée. Une femme Dong, en beaux habits de couleur, me demande si j’ai dîné, et malgré mes dénégations m’ouvre un sac plastique plein de riz et me le tend. Je refuse plusieurs fois, puis j’en prélève une pincée et remercie du fond du cœur, propose mes clémentines – on me dit non merci et nous nous séparons.

Une mère et ses enfants cheminent devant moi ; ils prennent les petits chemins d’un pied sûr, lent – moi je cravache sur la route sinueuse. Quand je les rattrape enfin, nous échangeons quelques mots sur la métaphysique des chemins de traverse.

Ciel clair. C’est la première fois depuis des mois que je vois les étoiles. Je les regarde longuement à plusieurs reprises, interrompu par les phares et le boucan d’un camion qui remonte ou d’une moto qui descend au village, dans le cliquetis de ses roues libres...

Cinq tours, cinq vertus, cinq éléments
Je dîne dans un boui-boui ; mes Français, qui passaient là justement, me souhaitent la bonne soirée. Les tours du tambours se sont remplies de rires et d’animation : sous chacune, un grand feu, autour duquel les hommes sont réunis, surtout les vieux.

Sous la tour du sens de l’humain, on pousse les jetons sur l’échiquier ; celle du sens de la justice est éclairée mais laissée seule ; sous celle des rites, on raconte des histoires Dong au magnétophone ; sous celle du discernement on discute ; et celle de la confiance je la manque...

Ce village est sous le signe d'un monde en miniature décidément : l’eau des mares, des champs et des canaux, le feu au pied des tours, le fragile bois des maisons magnifiques et la terre comme richesse à cultiver ; seul le métal manquait, et voilà les devises qui affluent.

M'enfin, les cinq éléments, quelle satisfaction de les échanger pour une chambre chauffée !

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Carnets, 19 février (4/4): Quand Dong fâchée, ciel se voile

Je croise une petite Dong qui pleure. Le ciel se fronce et s’obscurcit de nuages. On ne peut pas arrêter la petite. Beuglante elle mène à travers le village de Tang'an la famille dans son sillage. Quand je croise le convoi processionnel, la grand-mère en appelle à moi, le laowai et mes tablettes de grand médecin. Je fais donc le méchant étranger, aux sourcils sévères, à la voix grave et lourde de reproches, et la petite (étonnement ? simagrée ? fierté ? un peu peur quand même ?) arrête ses pleurs. Je devrais créer un numéro vert, du genre de SOS détresse amitié : "1,20€ la minute pour calmer la marmaille." La grand-mère me sourit d’un large sourire aux dents blanches.

Sur la place du village, devant l'unique tour du tambour, les femmes lavent fruits et légumes, comme des lavandières en rond autour d'une mare.
Le ciel est libre de nouveau ; déjà le soleil se couche au loin dans les montagnes. Les plus distantes ne sont qu’une coloration grise du ciel. Au pied du village de Tang'an, les rizières descendent la vallée jusqu’à Zhaoxing dont on devine le désordre des toits. On a allumé des feux pour la cuisine, on discute sous les toits; un vaste murmure monte de la place du village. Dans la clarté rose et orangée qui baigne à présent le ciel, je m’assieds sur un promontoire, et j'épépine des clémentines de Tsong-ts’iang dans la grande clameur du soir.

Sous cette clarté obscure
Je redescends sur Zhaoxing à la nuit tombée. Une femme Dong, en beaux habits de couleur, me demande si j’ai dîné, et malgré mes dénégations m’ouvre un sac plastique plein de riz et me le tend. Je refuse plusieurs fois, puis j’en prélève une pincée et remercie du fond du cœur, propose mes clémentines – on me dit non merci et nous nous séparons.

Une mère et ses enfants cheminent devant moi ; ils prennent les petits chemins d’un pied sûr, lent – moi je cravache sur la route sinueuse. Quand je les rattrape enfin, nous échangeons quelques mots sur la métaphysique des chemins de traverse.

Ciel clair. C’est la première fois depuis des mois que je vois les étoiles. Je les regarde longuement à plusieurs reprises, interrompu par les phares et le boucan d’un camion qui remonte ou d’une moto qui descend au village, dans le cliquetis de ses roues libres...

Cinq tours, cinq vertus, cinq éléments
Je dîne dans un boui-boui ; mes Français, qui passaient là justement, me souhaitent la bonne soirée. Les tours du tambours se sont remplies de rires et d’animation : sous chacune, un grand feu, autour duquel les hommes sont réunis, surtout les vieux.

Sous la tour du sens de l’humain, on pousse les jetons sur l’échiquier ; celle du sens de la justice est éclairée mais laissée seule ; sous celle des rites, on raconte des histoires Dong au magnétophone ; sous celle du discernement on discute ; et celle de la confiance je la manque...

Ce village est sous le signe d'un monde en miniature décidément : l’eau des mares, des champs et des canaux, le feu au pied des tours, le fragile bois des maisons magnifiques et la terre comme richesse à cultiver ; seul le métal manquait, et voilà les devises qui affluent.

M'enfin, les cinq éléments, quelle satisfaction de les échanger pour une chambre chauffée !

(Passer par la case départ et lire la suite)