mercredi 24 février 2010

Carnets, 13 février: La Chine passe le Nouvel an (Kaili-Chong'an-Xinzhai)

Au marché de Kaili
Aujourd'hui c'est la Fête du printemps ("Chun Jie", prononcer Tch'ouen-tsie), le Nouvel an chinois. Chez nous, la Saint-Sylvestre rime avec fois gras-champagne, ascendant homard-petits fours. De ce côté du monde, ça rime avec pétard. C'est reparti comme en quarante, parce qu'il faut que ce soit "vivant" (热闹) - bien sûr ils se bouchent les oreilles chaque explosion !

Kaili bout. Un marché immense a envahi les rues étroites de sa clameur aiguë. Les motos klaxonnent sans répit, les marchands se frayent un passage parmi la foule, une lourde charge sur l'épaule. Je suis bousculé, mes tympans déchirés, mes yeux éblouis.


La Chine n'est pas le pays du monopole pour rien. Le menu du soir est écrit dans les stands: fruits, légumes, épices pour accompagner le coq qu'on égorge. Les vendeuses à coiffe font assaut de sourires. Les ménagères s'affairent pour remplir leur panier, tandis que leurs époux tâtent un peu les coqs et négocient âprement leur prix.


Bientôt, il me semble que j'ai trouvé la gare routière pour Chong'an. Elle n'est pas où mon plan l'indique, mais je ne chipote pas pour si peu. Je monte dans un minibus qui se remplit peu à peu de voyageurs chargés de bagages aux volumes excentriques. Au bout de 30 minutes, il est plein. Dans l'intervalle, on a changé de chauffeur pour une sorte d'ahuri aux yeux troubles. Il cale deux fois et il démarre.

Sur les hauteurs de Chong'an
A Chong'an comme à Kaili c'est la folie. Les rues anonymes de cette bourgade grise fourmillent d'activité. Je demande la direction de Xinzhai, un village de la minorité Gejia perché sur une colline avoisinante.

Comme son nom l'indique, Chong'an (重岸) est sur un fleuve; Xinzhai est sur l'autre rive. Un passeur d'âge vénérable fait la traversée pour 1 yuan aller-retour. Son corps émacié pèse de tout son poids sur la rame unique, dans un grand mouvement de balancier. La barque glisse sur les eaux vertes. De belles maisons en bois sur la rive que je viens de quitter veillent sur les flots calmes. Choc léger. Nous accostons.


Je longe la rive sur une courte distance, puis la montée commence. C'est stupéfiant.

Un chemin de terre serpente entre des cultures en étages et se perd dans les collines boisées. Des champs miniatures, accrochés dans la pente, couvrent toutes les teintes de vert et sont bordés par de petits murets de terre.


Je chemine aux côtés d'un habitant du lieu. Je lui parle en mandarin, espérant qu'il me comprenne. Il me répond dans une langue mystérieuse, à la fois suffisamment proche pour que je puisse croire avoir mal entendu et assez éloignée pour que je n'y comprenne goutte. Et comme je lui réponds, il croit que j'ai compris...

En contrebas de Xinzhai encore caché, les premières belles maisons de bois, à flanc de colline, entourées de ces aires irrégulières de riz et de céréales (colza d'un jaune lumineux !); certaines bâtisses sont pour les hommes, d'autres sont pour les bêtes. Les coqs hurlent à chaque pétard qui explose.


A Xinzhai, des maisons de bois par centaines, à la fois rustiques dans l'idée de confort qu'elles impliquent et travaillées dans certains motifs du bois. Evidemment, un imbécile fait construire sa maison en béton et un connard frime avec sa bagnole. Les vieilles au fichu bleu suivent d'un oeil dubitatif cet étranger qui passe.




Je m'assieds dans les hauteurs. Un jeune Chinois me rejoint bientôt, intrigué par ce carnet et ce que j'y griffonne. Il m'emmène pour un tour des collines.

Vue hallucinante sur les cultures en étages. Liu Fa me raconte qu'au printemps tout est fleuri. Il ne comprend pas quand je trouve belles les maisons de son village, mais il aime la marche. Nous cheminons entre les pins.


Quand nous débouchons sur une clairière, il propose qu'on se repose. Il fait un feu. Chaleur subite et vive du pin qui se consume. Puis nous nous séparons.


Je redescends dans la vallée. Je longe un cimetière aux tombes en monticules de pierre.


Le bac me ramène dans un monde différent de celui que j'ai quitté. Les rues de Chong'an sont désertées. Les mues mauves de pétard jonchent les rues où se tenait la foire, et sur les dernières devantures ouvertes, un rideau de fer tombe avec fracas.


Je projette de rentrer à Kaili en passant par Matang (autre village Gejia), et je m'arrête dans une épicerie pour y manger un brin (il est 13 heures). La famille propriétaire me dit alors qu'il n'y a plus de bus car c'est Chun Jie, ni aujourd'hui, ni demain. Mais que je peux rester passer le Nouvel an avec eux.

Qui aurait dit non?

Chun Jie (presque) en famille
Taraudé par l'incertitude de mon programme futur, je suis au milieu d'un va-et-vient incessant de préparatifs affairés, auxquels surtout l'on ne veut pas que l'invité participe. Père et mère pour l'heure invisibles, deux jeunes filles, leurs maris. L'air jeune mais ne le sont pas. Un petit enfant, sa maman le berce, elle fait quinze-seize ans, mais sérieuse, sérieuse ! L'autre jeune fille est plus mignonne, donc elle a l'air ennuyé, tapote sur son portable, se recoiffe.

Trois heures et quart, l'heure du pétard. On en fait sauter des petits, des grands, on en jette, on en lance. Chong'an pète de partout.

Dans tout ce boucan, j'ai assez froid. La pièce principale est ouverte sur la rue, le comptoir y est installé, plein d'un fourre-tout de snacks et de babioles - il faut bien vendre quand même ! Au mur, sur de grandes étagères, un bric-à-brac de briquets, de boites béantes et de boissons à bulles. Nous sommes assis autour d'un foyer de charbon; chaleur courte en distance.

Toute l'après-midi, maman s'affaire à la cuisine. Pendant ce temps, on grignote du bambou. C'est très simple à manger, il suffit de réveiller ses gènes panda. D'un mouvement ferme des incisives, détacher l'écorce. Puis mastiquer la chair pour en extraire le jus sucré. Enfin, cracher le résidu ligneux dans la corbeille idoine.

J'entends sans cesse renouvelé le crépitement des victuailles dans le wok, l'entrechoquement des ustensiles culinaires. Soudain vers quatre heures, on dresse une table qu'on place au dessus des braises. Les plats s'y multiplient (Jésus était-il chinois?), leur abondance fume dans l'air frais. Sur le pas de la porte jonché de débris de pétards, l'encens brûle en bâtonnets.

Le dîner est pantagruélique, qui plus est à l'heure de mon goûter.

La table est dressée au dessus de l'âtre. Les plats dans leur multitude débordante n'y tiennent pas. Pays de l'excès en nombre. Le maître de maison glisse un morceau de poisson grillé dans mon bol. Je ne sais quels gestes avoir, quelles règles observer. Dans le doute, je me confonds en remerciements sincères et mime mes hôtes. On me tend du poulet aux champignons, du foie aux poivrons, des intestins marinés, des haricots sautés, et autant de plats dont je ne saurais dire de quoi ils sont faits. Miracle, j'échappe aux pattes de poulet, pourtant bien ragoûtantes. Le repas fini, à voir la table on le dirait à peine commencé.

Puis c'est l'expédition. Le but inavoué est de mettre le feu au pâté de maisons. Heure: 20 heures. Armement: des fleurs de fumée (花烟). Il n'y a pas à dire, ces Chinois ont toujours la fleur au fusil.

Toute la famille est de la partie, y compris bébé dans une nacelle de tissu sur le dos de sa grand-mère. On fait une boutique après l'autre. Traversée d'un terrain vague (ancien lit de la rivière?), on tambourine au rideau de fer d'une boutique manifestement fermée. Pas de réponse. Donc on soulève le rideau et on entre - ce n'est pas verrouillé. On tâte de tout. La propriétaire finit par arriver, et ce sont de grandes discussions avant de repartir avec sous le bras deux grosses caisses pleines de fusées.

A cette expédition en grande pompe aux airs de cérémonial confucéen, suit la mise à feu et son aléa savamment calculé, lequel doit permettre de provoquer, avec probabilité de un sur deux, l'un des événements suivants: court-circuit des lignes électriques, effondrement des poteaux, brûlure au 3e degré des artificiers et incendie du quartier.

Un des beau-fils allume la mèche de la première boite. Suivent 36 explosions cadencées. Rebelote, 25 pour la deuxième boite. Pas d'accident. La famille rouvre les yeux et s'enlève les mains de sur les oreilles. On jurerait voir l'homme qui scie la branche sur laquelle il est assis s'étonner de ne pas être tombé. Certaines fusées ont dû propulser une bonne étoile dans le firmament.

L'heure des braves définitivement derrière nous, vient celle des dominos. Evidemment, cela ne peut pas être aussi simple que les nôtres. Le majiang (麻将, prononcer ma-tsiang) est une sorte de quems au fond, mais avec 12 dominos au lieu de 4 cartes en main, et pas de partenaires.

Au bout de deux heures de jeu intense, j'ai toujours rien pigé. Et de surcroît ils jouent du blé ! Ah, ces Chinois !

(Passer par la case départ pour lire la suite)

Carnets, 13 février: La Chine passe le Nouvel an (Kaili-Chong'an-Xinzhai)

Au marché de Kaili
Aujourd'hui c'est la Fête du printemps ("Chun Jie", prononcer Tch'ouen-tsie), le Nouvel an chinois. Chez nous, la Saint-Sylvestre rime avec fois gras-champagne, ascendant homard-petits fours. De ce côté du monde, ça rime avec pétard. C'est reparti comme en quarante, parce qu'il faut que ce soit "vivant" (热闹) - bien sûr ils se bouchent les oreilles chaque explosion !

Kaili bout. Un marché immense a envahi les rues étroites de sa clameur aiguë. Les motos klaxonnent sans répit, les marchands se frayent un passage parmi la foule, une lourde charge sur l'épaule. Je suis bousculé, mes tympans déchirés, mes yeux éblouis.


La Chine n'est pas le pays du monopole pour rien. Le menu du soir est écrit dans les stands: fruits, légumes, épices pour accompagner le coq qu'on égorge. Les vendeuses à coiffe font assaut de sourires. Les ménagères s'affairent pour remplir leur panier, tandis que leurs époux tâtent un peu les coqs et négocient âprement leur prix.


Bientôt, il me semble que j'ai trouvé la gare routière pour Chong'an. Elle n'est pas où mon plan l'indique, mais je ne chipote pas pour si peu. Je monte dans un minibus qui se remplit peu à peu de voyageurs chargés de bagages aux volumes excentriques. Au bout de 30 minutes, il est plein. Dans l'intervalle, on a changé de chauffeur pour une sorte d'ahuri aux yeux troubles. Il cale deux fois et il démarre.

Sur les hauteurs de Chong'an
A Chong'an comme à Kaili c'est la folie. Les rues anonymes de cette bourgade grise fourmillent d'activité. Je demande la direction de Xinzhai, un village de la minorité Gejia perché sur une colline avoisinante.

Comme son nom l'indique, Chong'an (重岸) est sur un fleuve; Xinzhai est sur l'autre rive. Un passeur d'âge vénérable fait la traversée pour 1 yuan aller-retour. Son corps émacié pèse de tout son poids sur la rame unique, dans un grand mouvement de balancier. La barque glisse sur les eaux vertes. De belles maisons en bois sur la rive que je viens de quitter veillent sur les flots calmes. Choc léger. Nous accostons.


Je longe la rive sur une courte distance, puis la montée commence. C'est stupéfiant.

Un chemin de terre serpente entre des cultures en étages et se perd dans les collines boisées. Des champs miniatures, accrochés dans la pente, couvrent toutes les teintes de vert et sont bordés par de petits murets de terre.


Je chemine aux côtés d'un habitant du lieu. Je lui parle en mandarin, espérant qu'il me comprenne. Il me répond dans une langue mystérieuse, à la fois suffisamment proche pour que je puisse croire avoir mal entendu et assez éloignée pour que je n'y comprenne goutte. Et comme je lui réponds, il croit que j'ai compris...

En contrebas de Xinzhai encore caché, les premières belles maisons de bois, à flanc de colline, entourées de ces aires irrégulières de riz et de céréales (colza d'un jaune lumineux !); certaines bâtisses sont pour les hommes, d'autres sont pour les bêtes. Les coqs hurlent à chaque pétard qui explose.


A Xinzhai, des maisons de bois par centaines, à la fois rustiques dans l'idée de confort qu'elles impliquent et travaillées dans certains motifs du bois. Evidemment, un imbécile fait construire sa maison en béton et un connard frime avec sa bagnole. Les vieilles au fichu bleu suivent d'un oeil dubitatif cet étranger qui passe.




Je m'assieds dans les hauteurs. Un jeune Chinois me rejoint bientôt, intrigué par ce carnet et ce que j'y griffonne. Il m'emmène pour un tour des collines.

Vue hallucinante sur les cultures en étages. Liu Fa me raconte qu'au printemps tout est fleuri. Il ne comprend pas quand je trouve belles les maisons de son village, mais il aime la marche. Nous cheminons entre les pins.


Quand nous débouchons sur une clairière, il propose qu'on se repose. Il fait un feu. Chaleur subite et vive du pin qui se consume. Puis nous nous séparons.


Je redescends dans la vallée. Je longe un cimetière aux tombes en monticules de pierre.


Le bac me ramène dans un monde différent de celui que j'ai quitté. Les rues de Chong'an sont désertées. Les mues mauves de pétard jonchent les rues où se tenait la foire, et sur les dernières devantures ouvertes, un rideau de fer tombe avec fracas.


Je projette de rentrer à Kaili en passant par Matang (autre village Gejia), et je m'arrête dans une épicerie pour y manger un brin (il est 13 heures). La famille propriétaire me dit alors qu'il n'y a plus de bus car c'est Chun Jie, ni aujourd'hui, ni demain. Mais que je peux rester passer le Nouvel an avec eux.

Qui aurait dit non?

Chun Jie (presque) en famille
Taraudé par l'incertitude de mon programme futur, je suis au milieu d'un va-et-vient incessant de préparatifs affairés, auxquels surtout l'on ne veut pas que l'invité participe. Père et mère pour l'heure invisibles, deux jeunes filles, leurs maris. L'air jeune mais ne le sont pas. Un petit enfant, sa maman le berce, elle fait quinze-seize ans, mais sérieuse, sérieuse ! L'autre jeune fille est plus mignonne, donc elle a l'air ennuyé, tapote sur son portable, se recoiffe.

Trois heures et quart, l'heure du pétard. On en fait sauter des petits, des grands, on en jette, on en lance. Chong'an pète de partout.

Dans tout ce boucan, j'ai assez froid. La pièce principale est ouverte sur la rue, le comptoir y est installé, plein d'un fourre-tout de snacks et de babioles - il faut bien vendre quand même ! Au mur, sur de grandes étagères, un bric-à-brac de briquets, de boites béantes et de boissons à bulles. Nous sommes assis autour d'un foyer de charbon; chaleur courte en distance.

Toute l'après-midi, maman s'affaire à la cuisine. Pendant ce temps, on grignote du bambou. C'est très simple à manger, il suffit de réveiller ses gènes panda. D'un mouvement ferme des incisives, détacher l'écorce. Puis mastiquer la chair pour en extraire le jus sucré. Enfin, cracher le résidu ligneux dans la corbeille idoine.

J'entends sans cesse renouvelé le crépitement des victuailles dans le wok, l'entrechoquement des ustensiles culinaires. Soudain vers quatre heures, on dresse une table qu'on place au dessus des braises. Les plats s'y multiplient (Jésus était-il chinois?), leur abondance fume dans l'air frais. Sur le pas de la porte jonché de débris de pétards, l'encens brûle en bâtonnets.

Le dîner est pantagruélique, qui plus est à l'heure de mon goûter.

La table est dressée au dessus de l'âtre. Les plats dans leur multitude débordante n'y tiennent pas. Pays de l'excès en nombre. Le maître de maison glisse un morceau de poisson grillé dans mon bol. Je ne sais quels gestes avoir, quelles règles observer. Dans le doute, je me confonds en remerciements sincères et mime mes hôtes. On me tend du poulet aux champignons, du foie aux poivrons, des intestins marinés, des haricots sautés, et autant de plats dont je ne saurais dire de quoi ils sont faits. Miracle, j'échappe aux pattes de poulet, pourtant bien ragoûtantes. Le repas fini, à voir la table on le dirait à peine commencé.

Puis c'est l'expédition. Le but inavoué est de mettre le feu au pâté de maisons. Heure: 20 heures. Armement: des fleurs de fumée (花烟). Il n'y a pas à dire, ces Chinois ont toujours la fleur au fusil.

Toute la famille est de la partie, y compris bébé dans une nacelle de tissu sur le dos de sa grand-mère. On fait une boutique après l'autre. Traversée d'un terrain vague (ancien lit de la rivière?), on tambourine au rideau de fer d'une boutique manifestement fermée. Pas de réponse. Donc on soulève le rideau et on entre - ce n'est pas verrouillé. On tâte de tout. La propriétaire finit par arriver, et ce sont de grandes discussions avant de repartir avec sous le bras deux grosses caisses pleines de fusées.

A cette expédition en grande pompe aux airs de cérémonial confucéen, suit la mise à feu et son aléa savamment calculé, lequel doit permettre de provoquer, avec probabilité de un sur deux, l'un des événements suivants: court-circuit des lignes électriques, effondrement des poteaux, brûlure au 3e degré des artificiers et incendie du quartier.

Un des beau-fils allume la mèche de la première boite. Suivent 36 explosions cadencées. Rebelote, 25 pour la deuxième boite. Pas d'accident. La famille rouvre les yeux et s'enlève les mains de sur les oreilles. On jurerait voir l'homme qui scie la branche sur laquelle il est assis s'étonner de ne pas être tombé. Certaines fusées ont dû propulser une bonne étoile dans le firmament.

L'heure des braves définitivement derrière nous, vient celle des dominos. Evidemment, cela ne peut pas être aussi simple que les nôtres. Le majiang (麻将, prononcer ma-tsiang) est une sorte de quems au fond, mais avec 12 dominos au lieu de 4 cartes en main, et pas de partenaires.

Au bout de deux heures de jeu intense, j'ai toujours rien pigé. Et de surcroît ils jouent du blé ! Ah, ces Chinois !

(Passer par la case départ pour lire la suite)

Carnets, 13 février: La Chine passe le Nouvel an (Kaili-Chong'an-Xinzhai)

Au marché de Kaili
Aujourd'hui c'est la Fête du printemps ("Chun Jie", prononcer Tch'ouen-tsie), le Nouvel an chinois. Chez nous, la Saint-Sylvestre rime avec fois gras-champagne, ascendant homard-petits fours. De ce côté du monde, ça rime avec pétard. C'est reparti comme en quarante, parce qu'il faut que ce soit "vivant" (热闹) - bien sûr ils se bouchent les oreilles chaque explosion !

Kaili bout. Un marché immense a envahi les rues étroites de sa clameur aiguë. Les motos klaxonnent sans répit, les marchands se frayent un passage parmi la foule, une lourde charge sur l'épaule. Je suis bousculé, mes tympans déchirés, mes yeux éblouis.


La Chine n'est pas le pays du monopole pour rien. Le menu du soir est écrit dans les stands: fruits, légumes, épices pour accompagner le coq qu'on égorge. Les vendeuses à coiffe font assaut de sourires. Les ménagères s'affairent pour remplir leur panier, tandis que leurs époux tâtent un peu les coqs et négocient âprement leur prix.


Bientôt, il me semble que j'ai trouvé la gare routière pour Chong'an. Elle n'est pas où mon plan l'indique, mais je ne chipote pas pour si peu. Je monte dans un minibus qui se remplit peu à peu de voyageurs chargés de bagages aux volumes excentriques. Au bout de 30 minutes, il est plein. Dans l'intervalle, on a changé de chauffeur pour une sorte d'ahuri aux yeux troubles. Il cale deux fois et il démarre.

Sur les hauteurs de Chong'an
A Chong'an comme à Kaili c'est la folie. Les rues anonymes de cette bourgade grise fourmillent d'activité. Je demande la direction de Xinzhai, un village de la minorité Gejia perché sur une colline avoisinante.

Comme son nom l'indique, Chong'an (重岸) est sur un fleuve; Xinzhai est sur l'autre rive. Un passeur d'âge vénérable fait la traversée pour 1 yuan aller-retour. Son corps émacié pèse de tout son poids sur la rame unique, dans un grand mouvement de balancier. La barque glisse sur les eaux vertes. De belles maisons en bois sur la rive que je viens de quitter veillent sur les flots calmes. Choc léger. Nous accostons.


Je longe la rive sur une courte distance, puis la montée commence. C'est stupéfiant.

Un chemin de terre serpente entre des cultures en étages et se perd dans les collines boisées. Des champs miniatures, accrochés dans la pente, couvrent toutes les teintes de vert et sont bordés par de petits murets de terre.


Je chemine aux côtés d'un habitant du lieu. Je lui parle en mandarin, espérant qu'il me comprenne. Il me répond dans une langue mystérieuse, à la fois suffisamment proche pour que je puisse croire avoir mal entendu et assez éloignée pour que je n'y comprenne goutte. Et comme je lui réponds, il croit que j'ai compris...

En contrebas de Xinzhai encore caché, les premières belles maisons de bois, à flanc de colline, entourées de ces aires irrégulières de riz et de céréales (colza d'un jaune lumineux !); certaines bâtisses sont pour les hommes, d'autres sont pour les bêtes. Les coqs hurlent à chaque pétard qui explose.


A Xinzhai, des maisons de bois par centaines, à la fois rustiques dans l'idée de confort qu'elles impliquent et travaillées dans certains motifs du bois. Evidemment, un imbécile fait construire sa maison en béton et un connard frime avec sa bagnole. Les vieilles au fichu bleu suivent d'un oeil dubitatif cet étranger qui passe.




Je m'assieds dans les hauteurs. Un jeune Chinois me rejoint bientôt, intrigué par ce carnet et ce que j'y griffonne. Il m'emmène pour un tour des collines.

Vue hallucinante sur les cultures en étages. Liu Fa me raconte qu'au printemps tout est fleuri. Il ne comprend pas quand je trouve belles les maisons de son village, mais il aime la marche. Nous cheminons entre les pins.


Quand nous débouchons sur une clairière, il propose qu'on se repose. Il fait un feu. Chaleur subite et vive du pin qui se consume. Puis nous nous séparons.


Je redescends dans la vallée. Je longe un cimetière aux tombes en monticules de pierre.


Le bac me ramène dans un monde différent de celui que j'ai quitté. Les rues de Chong'an sont désertées. Les mues mauves de pétard jonchent les rues où se tenait la foire, et sur les dernières devantures ouvertes, un rideau de fer tombe avec fracas.


Je projette de rentrer à Kaili en passant par Matang (autre village Gejia), et je m'arrête dans une épicerie pour y manger un brin (il est 13 heures). La famille propriétaire me dit alors qu'il n'y a plus de bus car c'est Chun Jie, ni aujourd'hui, ni demain. Mais que je peux rester passer le Nouvel an avec eux.

Qui aurait dit non?

Chun Jie (presque) en famille
Taraudé par l'incertitude de mon programme futur, je suis au milieu d'un va-et-vient incessant de préparatifs affairés, auxquels surtout l'on ne veut pas que l'invité participe. Père et mère pour l'heure invisibles, deux jeunes filles, leurs maris. L'air jeune mais ne le sont pas. Un petit enfant, sa maman le berce, elle fait quinze-seize ans, mais sérieuse, sérieuse ! L'autre jeune fille est plus mignonne, donc elle a l'air ennuyé, tapote sur son portable, se recoiffe.

Trois heures et quart, l'heure du pétard. On en fait sauter des petits, des grands, on en jette, on en lance. Chong'an pète de partout.

Dans tout ce boucan, j'ai assez froid. La pièce principale est ouverte sur la rue, le comptoir y est installé, plein d'un fourre-tout de snacks et de babioles - il faut bien vendre quand même ! Au mur, sur de grandes étagères, un bric-à-brac de briquets, de boites béantes et de boissons à bulles. Nous sommes assis autour d'un foyer de charbon; chaleur courte en distance.

Toute l'après-midi, maman s'affaire à la cuisine. Pendant ce temps, on grignote du bambou. C'est très simple à manger, il suffit de réveiller ses gènes panda. D'un mouvement ferme des incisives, détacher l'écorce. Puis mastiquer la chair pour en extraire le jus sucré. Enfin, cracher le résidu ligneux dans la corbeille idoine.

J'entends sans cesse renouvelé le crépitement des victuailles dans le wok, l'entrechoquement des ustensiles culinaires. Soudain vers quatre heures, on dresse une table qu'on place au dessus des braises. Les plats s'y multiplient (Jésus était-il chinois?), leur abondance fume dans l'air frais. Sur le pas de la porte jonché de débris de pétards, l'encens brûle en bâtonnets.

Le dîner est pantagruélique, qui plus est à l'heure de mon goûter.

La table est dressée au dessus de l'âtre. Les plats dans leur multitude débordante n'y tiennent pas. Pays de l'excès en nombre. Le maître de maison glisse un morceau de poisson grillé dans mon bol. Je ne sais quels gestes avoir, quelles règles observer. Dans le doute, je me confonds en remerciements sincères et mime mes hôtes. On me tend du poulet aux champignons, du foie aux poivrons, des intestins marinés, des haricots sautés, et autant de plats dont je ne saurais dire de quoi ils sont faits. Miracle, j'échappe aux pattes de poulet, pourtant bien ragoûtantes. Le repas fini, à voir la table on le dirait à peine commencé.

Puis c'est l'expédition. Le but inavoué est de mettre le feu au pâté de maisons. Heure: 20 heures. Armement: des fleurs de fumée (花烟). Il n'y a pas à dire, ces Chinois ont toujours la fleur au fusil.

Toute la famille est de la partie, y compris bébé dans une nacelle de tissu sur le dos de sa grand-mère. On fait une boutique après l'autre. Traversée d'un terrain vague (ancien lit de la rivière?), on tambourine au rideau de fer d'une boutique manifestement fermée. Pas de réponse. Donc on soulève le rideau et on entre - ce n'est pas verrouillé. On tâte de tout. La propriétaire finit par arriver, et ce sont de grandes discussions avant de repartir avec sous le bras deux grosses caisses pleines de fusées.

A cette expédition en grande pompe aux airs de cérémonial confucéen, suit la mise à feu et son aléa savamment calculé, lequel doit permettre de provoquer, avec probabilité de un sur deux, l'un des événements suivants: court-circuit des lignes électriques, effondrement des poteaux, brûlure au 3e degré des artificiers et incendie du quartier.

Un des beau-fils allume la mèche de la première boite. Suivent 36 explosions cadencées. Rebelote, 25 pour la deuxième boite. Pas d'accident. La famille rouvre les yeux et s'enlève les mains de sur les oreilles. On jurerait voir l'homme qui scie la branche sur laquelle il est assis s'étonner de ne pas être tombé. Certaines fusées ont dû propulser une bonne étoile dans le firmament.

L'heure des braves définitivement derrière nous, vient celle des dominos. Evidemment, cela ne peut pas être aussi simple que les nôtres. Le majiang (麻将, prononcer ma-tsiang) est une sorte de quems au fond, mais avec 12 dominos au lieu de 4 cartes en main, et pas de partenaires.

Au bout de deux heures de jeu intense, j'ai toujours rien pigé. Et de surcroît ils jouent du blé ! Ah, ces Chinois !

(Passer par la case départ pour lire la suite)

mardi 23 février 2010

Carnets, 12 février (2/2): Aux portes du bout du monde (Guiyang-Kaili)

La première page de mes carnets d'un voyage dans le Guizhou et le Guangxi s'écrit dans les transports.

16h10 Mon avion décolle pour Guiyang, capitale de la province du Guizhou.

16h15 J'arrive à l'aéroport de Pékin.

23h J'atterris à Guiyang, déjà trois heures de retard sur mon planning. Je fais confiance à la pléthore de Français qui m'a déconseillé de m'y attarder. Je prends le bus pour la gare.

Minuit et quart Je suis devant la gare de Guiyang comme devant la gare du Nord. L'immense bâtiment gris est sombre et désert. Des voyageurs en meutes de haillons et ballotins ont fait du parvis leur salon. Ils mangent, s'assoient, se lèvent, discutent. Billet acheté je me sustente dans un ersatz de KFC et je trouve cela bon.

1h D'un wagon l'autre je me fraie un chemin vers le compartiment 17 en jouant des coudes. Bruit, odeur, froid, saleté. Sur la banquette qui théoriquement inclut ma place, une vieille femme est allongée. On me dit de m'asseoir n'importe où. Je m'assieds n'importe où.

1h30 Je mets à l'épreuve ma 11e stratégie d'endormissement. Moins efficace que le 11e plan quiquennal. En diagonale, une fille mignonne en habits sales regard blasé laisse couler une glaire silencieuse. Je ne fixe pas le sol. Je ne fixe pas la jeune fille.

2h10 Mes voisins entreprennent une conversation animée sur le sens de la vie. Ou sur quoi faire contre une tourista.

3h45 Je sens qu'on me tape sur l'épaule. Ca veut dire que je dormais, non? On est bientôt arrivés.

4h Kaili (凯里). Littéralement, champ mûr pour la moisson. Pragmatiquement, ma première base pour explorer la région. Situationnellement, un taxi déjà plein me prend et me largue sur une artère déserte. Enfin, moralement... on se les pèle.

4h20 Je négocie le prix de ma chambre avec une réceptionniste ensommeillée.

4h50 Je règle le réveil sur 8 heures, je me glisse dans les draps froids et j'éteins la lumière. Je suis aux portes du bout du monde. 辛苦了。


Carnets, 12 février (2/2): Aux portes du bout du monde (Guiyang-Kaili)

La première page de mes carnets d'un voyage dans le Guizhou et le Guangxi s'écrit dans les transports.

16h10 Mon avion décolle pour Guiyang, capitale de la province du Guizhou.

16h15 J'arrive à l'aéroport de Pékin.

23h J'atterris à Guiyang, déjà trois heures de retard sur mon planning. Je fais confiance à la pléthore de Français qui m'a déconseillé de m'y attarder. Je prends le bus pour la gare.

Minuit et quart Je suis devant la gare de Guiyang comme devant la gare du Nord. L'immense bâtiment gris est sombre et désert. Des voyageurs en meutes de haillons et ballotins ont fait du parvis leur salon. Ils mangent, s'assoient, se lèvent, discutent. Billet acheté je me sustente dans un ersatz de KFC et je trouve cela bon.

1h D'un wagon l'autre je me fraie un chemin vers le compartiment 17 en jouant des coudes. Bruit, odeur, froid, saleté. Sur la banquette qui théoriquement inclut ma place, une vieille femme est allongée. On me dit de m'asseoir n'importe où. Je m'assieds n'importe où.

1h30 Je mets à l'épreuve ma 11e stratégie d'endormissement. Moins efficace que le 11e plan quiquennal. En diagonale, une fille mignonne en habits sales regard blasé laisse couler une glaire silencieuse. Je ne fixe pas le sol. Je ne fixe pas la jeune fille.

2h10 Mes voisins entreprennent une conversation animée sur le sens de la vie. Ou sur quoi faire contre une tourista.

3h45 Je sens qu'on me tape sur l'épaule. Ca veut dire que je dormais, non? On est bientôt arrivés.

4h Kaili (凯里). Littéralement, champ mûr pour la moisson. Pragmatiquement, ma première base pour explorer la région. Situationnellement, un taxi déjà plein me prend et me largue sur une artère déserte. Enfin, moralement... on se les pèle.

4h20 Je négocie le prix de ma chambre avec une réceptionniste ensommeillée.

4h50 Je règle le réveil sur 8 heures, je me glisse dans les draps froids et j'éteins la lumière. Je suis aux portes du bout du monde. 辛苦了。


Carnets, 12 février (2/2): Aux portes du bout du monde (Guiyang-Kaili)

La première page de mes carnets d'un voyage dans le Guizhou et le Guangxi s'écrit dans les transports.

16h10 Mon avion décolle pour Guiyang, capitale de la province du Guizhou.

16h15 J'arrive à l'aéroport de Pékin.

23h J'atterris à Guiyang, déjà trois heures de retard sur mon planning. Je fais confiance à la pléthore de Français qui m'a déconseillé de m'y attarder. Je prends le bus pour la gare.

Minuit et quart Je suis devant la gare de Guiyang comme devant la gare du Nord. L'immense bâtiment gris est sombre et désert. Des voyageurs en meutes de haillons et ballotins ont fait du parvis leur salon. Ils mangent, s'assoient, se lèvent, discutent. Billet acheté je me sustente dans un ersatz de KFC et je trouve cela bon.

1h D'un wagon l'autre je me fraie un chemin vers le compartiment 17 en jouant des coudes. Bruit, odeur, froid, saleté. Sur la banquette qui théoriquement inclut ma place, une vieille femme est allongée. On me dit de m'asseoir n'importe où. Je m'assieds n'importe où.

1h30 Je mets à l'épreuve ma 11e stratégie d'endormissement. Moins efficace que le 11e plan quiquennal. En diagonale, une fille mignonne en habits sales regard blasé laisse couler une glaire silencieuse. Je ne fixe pas le sol. Je ne fixe pas la jeune fille.

2h10 Mes voisins entreprennent une conversation animée sur le sens de la vie. Ou sur quoi faire contre une tourista.

3h45 Je sens qu'on me tape sur l'épaule. Ca veut dire que je dormais, non? On est bientôt arrivés.

4h Kaili (凯里). Littéralement, champ mûr pour la moisson. Pragmatiquement, ma première base pour explorer la région. Situationnellement, un taxi déjà plein me prend et me largue sur une artère déserte. Enfin, moralement... on se les pèle.

4h20 Je négocie le prix de ma chambre avec une réceptionniste ensommeillée.

4h50 Je règle le réveil sur 8 heures, je me glisse dans les draps froids et j'éteins la lumière. Je suis aux portes du bout du monde. 辛苦了。


Carnets, 12 février (1/2): Pourquoi le Guizhou?

Le Guizhou, personne n'y va. On visite Pékin parce que c'est la capitale, Shanghai le visage d'une Chine moderne, Xi'an pour son passé impérial, le Sichuan pour ses épices et le Yunnan pour ses montagnes. Mais le Guizhou...

Avec une unanimité qui oscille entre un conformisme confucéen et un copier-coller de collégien, tous les blogs et guides touristiques se plaisent à rappeler comme un seul homme "qu'au Guizhou on n'a ni trois jours sans pluie, ni trois lis sans montagne, ni trois sous en poche" (天无三日晴,地无三里平,人无三分银).

Moi qui vis à Pékin, je peux témoigner qu'on n'a ni trois jours sans pollution, ni trois rues sans bouchon, ni trois immeubles sans centre commercial. Qu'est-ce qui vaut le mieux?

En cette période de vacances du Nouvel an où la Chine entière est sur les routes, je cours donc vers cette contrée mal-aimée des foules, lanterne rouge de l'économie chinoise, mais fascinant visage d'une autre Chine.

Ce sera un voyage itinérant, dix jours de Guiyang (capitale du Guizhou), à Guilin (capitale du Guangxi). Entre les deux, selon une ligne Nord-Ouest Sud-Est, les bus m'emmèneront de village en village, de minorité Miao en minorité Dong, de colline en colline.

Ces carnets de voyage me suivront tout le long: d'abord les environs de Kaili (villages Miao de Chong'an, de Xinzhai, de Shiqiao et de Xijiang), puis, vers Rongjiang, dans la vallée de Yangmen, et jusqu'à la région de Congjiang (villages Miao de Biasha et de Jiajiu, villages Dong de Zhaoxing et de Tang'an).

Je passerai alors la frontière pour le Guangxi, destination le pont de Chengyang et ses villages Dong (région de Sanjiang), puis les "rizières en épine dorsale de dragon" (Longji), avant d'attraper mon avion de retour à Guilin.

Accrochez vos ceintures !

Carnets, 12 février (1/2): Pourquoi le Guizhou?

Le Guizhou, personne n'y va. On visite Pékin parce que c'est la capitale, Shanghai le visage d'une Chine moderne, Xi'an pour son passé impérial, le Sichuan pour ses épices et le Yunnan pour ses montagnes. Mais le Guizhou...

Avec une unanimité qui oscille entre un conformisme confucéen et un copier-coller de collégien, tous les blogs et guides touristiques se plaisent à rappeler comme un seul homme "qu'au Guizhou on n'a ni trois jours sans pluie, ni trois lis sans montagne, ni trois sous en poche" (天无三日晴,地无三里平,人无三分银).

Moi qui vis à Pékin, je peux témoigner qu'on n'a ni trois jours sans pollution, ni trois rues sans bouchon, ni trois immeubles sans centre commercial. Qu'est-ce qui vaut le mieux?

En cette période de vacances du Nouvel an où la Chine entière est sur les routes, je cours donc vers cette contrée mal-aimée des foules, lanterne rouge de l'économie chinoise, mais fascinant visage d'une autre Chine.

Ce sera un voyage itinérant, dix jours de Guiyang (capitale du Guizhou), à Guilin (capitale du Guangxi). Entre les deux, selon une ligne Nord-Ouest Sud-Est, les bus m'emmèneront de village en village, de minorité Miao en minorité Dong, de colline en colline.

Ces carnets de voyage me suivront tout le long: d'abord les environs de Kaili (villages Miao de Chong'an, de Xinzhai, de Shiqiao et de Xijiang), puis, vers Rongjiang, dans la vallée de Yangmen, et jusqu'à la région de Congjiang (villages Miao de Biasha et de Jiajiu, villages Dong de Zhaoxing et de Tang'an).

Je passerai alors la frontière pour le Guangxi, destination le pont de Chengyang et ses villages Dong (région de Sanjiang), puis les "rizières en épine dorsale de dragon" (Longji), avant d'attraper mon avion de retour à Guilin.

Accrochez vos ceintures !

Carnets, 12 février (1/2): Pourquoi le Guizhou?

Le Guizhou, personne n'y va. On visite Pékin parce que c'est la capitale, Shanghai le visage d'une Chine moderne, Xi'an pour son passé impérial, le Sichuan pour ses épices et le Yunnan pour ses montagnes. Mais le Guizhou...

Avec une unanimité qui oscille entre un conformisme confucéen et un copier-coller de collégien, tous les blogs et guides touristiques se plaisent à rappeler comme un seul homme "qu'au Guizhou on n'a ni trois jours sans pluie, ni trois lis sans montagne, ni trois sous en poche" (天无三日晴,地无三里平,人无三分银).

Moi qui vis à Pékin, je peux témoigner qu'on n'a ni trois jours sans pollution, ni trois rues sans bouchon, ni trois immeubles sans centre commercial. Qu'est-ce qui vaut le mieux?

En cette période de vacances du Nouvel an où la Chine entière est sur les routes, je cours donc vers cette contrée mal-aimée des foules, lanterne rouge de l'économie chinoise, mais fascinant visage d'une autre Chine.

Ce sera un voyage itinérant, dix jours de Guiyang (capitale du Guizhou), à Guilin (capitale du Guangxi). Entre les deux, selon une ligne Nord-Ouest Sud-Est, les bus m'emmèneront de village en village, de minorité Miao en minorité Dong, de colline en colline.

Ces carnets de voyage me suivront tout le long: d'abord les environs de Kaili (villages Miao de Chong'an, de Xinzhai, de Shiqiao et de Xijiang), puis, vers Rongjiang, dans la vallée de Yangmen, et jusqu'à la région de Congjiang (villages Miao de Biasha et de Jiajiu, villages Dong de Zhaoxing et de Tang'an).

Je passerai alors la frontière pour le Guangxi, destination le pont de Chengyang et ses villages Dong (région de Sanjiang), puis les "rizières en épine dorsale de dragon" (Longji), avant d'attraper mon avion de retour à Guilin.

Accrochez vos ceintures !

jeudi 11 février 2010

Carnets d'un voyage dans le Guizhou et le Guangxi

Me voici de retour à Cambaluc, après dix jours de pérégrinations qui m'ont transporté de Guiyang à Guilin, à travers une mosaïque de minorités ethniques et de petits villages nichés au milieu de rizières et de collines brumeuses qui s'étendent à perte de vue.

Je vous invite à cheminer avec moi, au fil des notes prises jour après jour dans mon petit carnet au gré de mes impressions du moment. J'espère partager avec vous la magie des lieux et la chaleur des rencontres, bonnes ou mauvaises, qui ont émaillé le cours de mon voyage et fait de l'imprévu mon carburant quotidien.

Vendredi 12 février (1/2): Pourquoi le Guizhou?
Vendredi 12 février (2/2): Aux portes du bout du monde (Guiyang-Kaili)

Samedi 13 février: La Chine passe le Nouvel An (Kaili-Chong'an-Xinzhai)

Dimanche 14 février (1/2): Adieux (Chong'an)
Dimanche 14 février (2/2): Fauteur de trouble chez les faiseurs de papier (Shiqiao)

Lundi 15 février (1/3): Xijiang, le village aux mille lumières
Lundi 15 février (2/3): Au pays de la Belle au Bois Dormant
Lundi 15 février (3/3): Et vive Canton !

Mardi 16 février (1/3): L'erreur de Schrödinger ou le voyage pour les geeks
Mardi 16 février (2/3): La vallée de la Duliu (Rongjiang-Yangmen)
Mardi 16 février (3/3): Le dormeur du val

Mercredi 17 février (1/3): Je quitte les irréductibles Gaulois
Mercredi 17 février (2/3): Récit d'un craquage de nerfs aux flots clairs
Mercredi 17 février (3/3): Un Moyen-âge obscur (Biasha)

Jeudi 18 février (1/3): On a marché sur (le Mont de) la Lune
Jeudi 18 février (2/3): Le Maître a dit: "on se parfait par la musique" (fête Miao au Mont de la Lune)
Jeudi 18 février (3/3): Dîner banal au bout du monde

Vendredi 19 février (1/4): Des collines, des rizières et des hommes
Vendredi 19 février (2/4): Encore des miles
Vendredi 19 février (3/4): Zhaoxing, la Venise de bois
Vendredi 19 février (4/4): Quand Dong fâchée, ciel se voile

Samedi 20 février (1/2): Plus ça change et plus c'est la même chose
Samedi 20 février (2/2): Des monts, des ponts, des Dongs (Chengyang)

Dimanche 21 février: Sept sur deux roues (Chengyang)

Lundi 22 février: Sur les épaules du dragon (Longji)

Bon voyage !

Carnets d'un voyage dans le Guizhou et le Guangxi

Me voici de retour à Cambaluc, après dix jours de pérégrinations qui m'ont transporté de Guiyang à Guilin, à travers une mosaïque de minorités ethniques et de petits villages nichés au milieu de rizières et de collines brumeuses qui s'étendent à perte de vue.

Je vous invite à cheminer avec moi, au fil des notes prises jour après jour dans mon petit carnet au gré de mes impressions du moment. J'espère partager avec vous la magie des lieux et la chaleur des rencontres, bonnes ou mauvaises, qui ont émaillé le cours de mon voyage et fait de l'imprévu mon carburant quotidien.

Vendredi 12 février (1/2): Pourquoi le Guizhou?
Vendredi 12 février (2/2): Aux portes du bout du monde (Guiyang-Kaili)

Samedi 13 février: La Chine passe le Nouvel An (Kaili-Chong'an-Xinzhai)

Dimanche 14 février (1/2): Adieux (Chong'an)
Dimanche 14 février (2/2): Fauteur de trouble chez les faiseurs de papier (Shiqiao)

Lundi 15 février (1/3): Xijiang, le village aux mille lumières
Lundi 15 février (2/3): Au pays de la Belle au Bois Dormant
Lundi 15 février (3/3): Et vive Canton !

Mardi 16 février (1/3): L'erreur de Schrödinger ou le voyage pour les geeks
Mardi 16 février (2/3): La vallée de la Duliu (Rongjiang-Yangmen)
Mardi 16 février (3/3): Le dormeur du val

Mercredi 17 février (1/3): Je quitte les irréductibles Gaulois
Mercredi 17 février (2/3): Récit d'un craquage de nerfs aux flots clairs
Mercredi 17 février (3/3): Un Moyen-âge obscur (Biasha)

Jeudi 18 février (1/3): On a marché sur (le Mont de) la Lune
Jeudi 18 février (2/3): Le Maître a dit: "on se parfait par la musique" (fête Miao au Mont de la Lune)
Jeudi 18 février (3/3): Dîner banal au bout du monde

Vendredi 19 février (1/4): Des collines, des rizières et des hommes
Vendredi 19 février (2/4): Encore des miles
Vendredi 19 février (3/4): Zhaoxing, la Venise de bois
Vendredi 19 février (4/4): Quand Dong fâchée, ciel se voile

Samedi 20 février (1/2): Plus ça change et plus c'est la même chose
Samedi 20 février (2/2): Des monts, des ponts, des Dongs (Chengyang)

Dimanche 21 février: Sept sur deux roues (Chengyang)

Lundi 22 février: Sur les épaules du dragon (Longji)

Bon voyage !

Carnets d'un voyage dans le Guizhou et le Guangxi

Me voici de retour à Cambaluc, après dix jours de pérégrinations qui m'ont transporté de Guiyang à Guilin, à travers une mosaïque de minorités ethniques et de petits villages nichés au milieu de rizières et de collines brumeuses qui s'étendent à perte de vue.

Je vous invite à cheminer avec moi, au fil des notes prises jour après jour dans mon petit carnet au gré de mes impressions du moment. J'espère partager avec vous la magie des lieux et la chaleur des rencontres, bonnes ou mauvaises, qui ont émaillé le cours de mon voyage et fait de l'imprévu mon carburant quotidien.

Vendredi 12 février (1/2): Pourquoi le Guizhou?
Vendredi 12 février (2/2): Aux portes du bout du monde (Guiyang-Kaili)

Samedi 13 février: La Chine passe le Nouvel An (Kaili-Chong'an-Xinzhai)

Dimanche 14 février (1/2): Adieux (Chong'an)
Dimanche 14 février (2/2): Fauteur de trouble chez les faiseurs de papier (Shiqiao)

Lundi 15 février (1/3): Xijiang, le village aux mille lumières
Lundi 15 février (2/3): Au pays de la Belle au Bois Dormant
Lundi 15 février (3/3): Et vive Canton !

Mardi 16 février (1/3): L'erreur de Schrödinger ou le voyage pour les geeks
Mardi 16 février (2/3): La vallée de la Duliu (Rongjiang-Yangmen)
Mardi 16 février (3/3): Le dormeur du val


Bon voyage !

mercredi 10 février 2010

La Chine sous un signe blanc

Déjà quatre mois de Chine. Bilan ? Beaucoup de blanc !

Ma Chine trois fois blanche.
Quand je débarque à Pékin, la neige la plus précoce depuis 40 ans recouvre la ville. La municipalité lance le chauffage deux semaines plus tôt que prévu. Cela ne me concerne pas : je n’ai pas de chauffage. Emerveillé, de longues heures de marche me font arpenter une ville nouvelle, transcendée par la blancheur : entre les blocs de HLM et les monuments en faux-vieux, le long des boulevards deux fois haussmanniens et des ruelles délabrées, la ville retrouve une unité qu'on n'attendait plus.
Je quitte la Chine pour Noël. Entre temps, les rues ont retrouvé leur belle couleur gris gadoue. A mon retour, la neige à nouveau couvre Pékin, et une armée de balayeurs s’affaire pour déblayer les rues (que font-ils le reste de l’année ?). Des semaines après les chutes de neige, la même armée décimée charrue des pelletées de terre glacée de place en place, selon une logique impénétrable aux œillères occidentales. Et quand cette neige a disparu, je vais la chercher plus loin.
Enfin, à mi-séjour, la nuit même qui suit le jour où j’emménage dans un Siheyuan rue du Manteau de Paille, la neige tombe une troisième fois. Je n’ai pas d’eau – canalisations gelées - mais j’ai de la neige.

La grande Chine trois fois blanche
Admirez la transition légère: après ma vie et mon petit chez moi, les sept cent millions de Chinois.

Il y a la vieille Chine aux cheveux blanchis par les cinq mille d’histoire qu’elle s’attribue. Chez chaque Pékinois, riche ou pauvre, instruit ou pas, la même fierté d’être chinois. Quand son vélo passe au pied de la Tour du Tambour, l’heure qui était battue du temps des Song l’est toujours pour lui; sur les rives du parc Beihai, les pierres sont les mêmes qu’ont foulées les Empereurs. Le temps importe peu, l'authenticité est une convention, un édit.

Il y a la Chine aussi qui découvre la culpabilité et se veut blanche des accusations que lance l’Occident. Nous ne savons que copier, jamais inventer ? Nous inondons les quatre mers de produits faits à bas coûts ? Nous négligeons l’avenir de la planète ? Ou tout simplement nous ne sommes pas les premiers, pas les meilleurs ? A charge pour l’avenir de l’innocenter.

Il y a la Chine enfin tout à écrire, la Chine comme une page blanche : à chaque Empereur tombé, le suivant récrit l’Histoire; à la Chine d’aujourd’hui de prendre la plume, ou plutôt le stylo à bille, faut pas rêver. Après une période d’éclipse, la Chine se sent renaître à une nouvelle prospérité, en marche vers le progrès. Lui sera-t-il facile d'assimiler les trois piliers de l'Occident: consommation, virtualité et sexualité épanouies ? Ou bien les efforts conjugués du clown Ronald Macdonald, de Johnny Halliday et de Toto à l’école l’en empêcheront-ils ? Question ouverte.

Ce soir
A la nuit tombée, la neige tombe, je tombe de fatigue. Sur l’immensité neigeuse du lac du Nord, un cygne blanc prend son envol.

La Chine sous un signe blanc

Déjà quatre mois de Chine. Bilan ? Beaucoup de blanc !

Ma Chine trois fois blanche.
Quand je débarque à Pékin, la neige la plus précoce depuis 40 ans recouvre la ville. La municipalité lance le chauffage deux semaines plus tôt que prévu. Cela ne me concerne pas : je n’ai pas de chauffage. Emerveillé, de longues heures de marche me font arpenter une ville nouvelle, transcendée par la blancheur : entre les blocs de HLM et les monuments en faux-vieux, le long des boulevards deux fois haussmanniens et des ruelles délabrées, la ville retrouve une unité qu'on n'attendait plus.
Je quitte la Chine pour Noël. Entre temps, les rues ont retrouvé leur belle couleur gris gadoue. A mon retour, la neige à nouveau couvre Pékin, et une armée de balayeurs s’affaire pour déblayer les rues (que font-ils le reste de l’année ?). Des semaines après les chutes de neige, la même armée décimée charrue des pelletées de terre glacée de place en place, selon une logique impénétrable aux œillères occidentales. Et quand cette neige a disparu, je vais la chercher plus loin.
Enfin, à mi-séjour, la nuit même qui suit le jour où j’emménage dans un Siheyuan rue du Manteau de Paille, la neige tombe une troisième fois. Je n’ai pas d’eau – canalisations gelées - mais j’ai de la neige.

La grande Chine trois fois blanche
Admirez la transition légère: après ma vie et mon petit chez moi, les sept cent millions de Chinois.

Il y a la vieille Chine aux cheveux blanchis par les cinq mille d’histoire qu’elle s’attribue. Chez chaque Pékinois, riche ou pauvre, instruit ou pas, la même fierté d’être chinois. Quand son vélo passe au pied de la Tour du Tambour, l’heure qui était battue du temps des Song l’est toujours pour lui; sur les rives du parc Beihai, les pierres sont les mêmes qu’ont foulées les Empereurs. Le temps importe peu, l'authenticité est une convention, un édit.

Il y a la Chine aussi qui découvre la culpabilité et se veut blanche des accusations que lance l’Occident. Nous ne savons que copier, jamais inventer ? Nous inondons les quatre mers de produits faits à bas coûts ? Nous négligeons l’avenir de la planète ? Ou tout simplement nous ne sommes pas les premiers, pas les meilleurs ? A charge pour l’avenir de l’innocenter.

Il y a la Chine enfin tout à écrire, la Chine comme une page blanche : à chaque Empereur tombé, le suivant récrit l’Histoire; à la Chine d’aujourd’hui de prendre la plume, ou plutôt le stylo à bille, faut pas rêver. Après une période d’éclipse, la Chine se sent renaître à une nouvelle prospérité, en marche vers le progrès. Lui sera-t-il facile d'assimiler les trois piliers de l'Occident: consommation, virtualité et sexualité épanouies ? Ou bien les efforts conjugués du clown Ronald Macdonald, de Johnny Halliday et de Toto à l’école l’en empêcheront-ils ? Question ouverte.

Ce soir
A la nuit tombée, la neige tombe, je tombe de fatigue. Sur l’immensité neigeuse du lac du Nord, un cygne blanc prend son envol.