dimanche 9 mai 2010

Les tons chinois racontés à mon père

Cher Papa,

Tu me faisais part, dans ta dernière lettre, de ton intention de me rendre visite en Chine le mois prochain. Cette nouvelle me réjouit extrêmement et je serai très heureux de t'accueillir à Pékin. Pourtant, conscient des difficultés que m'ont données mes premiers pas sur ces terres lointaines, j'appréhende déjà que tu ne risques de passer à côté de belles choses faute de ne pouvoir te faire comprendre des Chinois.

Or, pour l'Etranger perdu dans la foule pékinoise, prononcer le Chinois semble une montagne à franchir plus abrupte que la courbe de croissance du PIB chinois. Dans les quelques développements qui suivent, je donne une méthode simple pour prononcer le Chinois, qui te laisse par la suite libre de cette première barrière.

Donner le ton au Chinois
Après deux années d’apprentissage du Chinois, lorsque je suis arrivé en Chine avec un peu de vocabulaire et beaucoup d’espérance, j’étais brutalement ramené à cette réalité douloureuse que les Chinois ne comprenaient pas un mot de ce que je disais, et que je ne les comprenais pas plus. Je pensais avoir fait le plus dur du chemin en apprenant quelques centaines de ces maudits caractères, qu’effectivement je pouvais lire et écrire, mais rien à faire, à l’oral, je ne les comprenais pas, et je n’étais pas compris.

Je me suis vite rendu compte que cette barrière tenait aux tons : le Chinois est une langue à tons, c’est-à-dire que chaque syllabe est prononcée selon un motif mélodique et rythmique particulier (il en existe cinq différents en mandarin). En cours de Chinois, on m’avait bien donné des éléments théoriques sur les tons, mais en Chine je me heurtais à leur mise en pratique.

Il m’a fallu plusieurs mois, et de longues discussions avec des Chinois, pour dégager des « règles d’ensemble » de prononciation des tons, qui avaient peu en commun avec ce qu’on m’en avait appris. Les Chinois appliquent ces règles spontanément, leur oreille les ayant acquises durant leur enfance, et peuvent difficilement les formuler avec clarté. Quant aux Occidentaux qui apprennent le Chinois, ils se satisfont bien souvent d’avoir franchi la barrière d’une prononciation ardue des sons, pour oser affronter celle, bien plus haute et obscure, des tons.

Une transcription des tons simple et intelligible ?
Le mois dernier, lorsque tu m’as fait part de ton intention de me rendre visite à Pékin, je me suis donc trouvé dans la nécessité de transcrire à ton intention la prononciation chinoise, d'une manière qui te parût simple et qui te permît d'être compris des Chinois.

Les sons de la langue chinoise eux-mêmes, s’ils sont difficiles à prononcer exactement, peuvent être approchés par une transcription phonétique relativement simple et suffisamment proche de l’original pour être intelligible des Chinois.

Mais une fois cette transcription des sons effectuée (ce que d’ailleurs ton guide de voyage propose à coup sûr en annexe), le problème reste entier. En effet, prononce le Chinois sans tons, et personne ne te comprendra.

D’où la question que je devais me poser : comment élaborer un système de transcription du Chinois, qui permette de te rendre intuitive la prononciation des tons chinois ? De nouveau, et comme pour les sons chinois, mon ambition n’était pas de proposer une transcription exacte, ce qui me paraît hors de portée, mais de transcrire les tons d’une manière simple (pour toi) et intelligible (pour les Chinois).

Structure du Chinois
Tout d’abord, il faut que je te dise quelques mots de la structure de la langue chinoise. Historiquement, le Chinois associe des triplets « un caractère – une syllabe – un sens ». Il se trouve que la langue chinoise n’utilise qu’un petit nombre de syllabes ; le Chinois moderne, pour compenser cette pauvreté syllabique source d’ambiguïtés, associe donc le plus souvent les caractères par paire. L'importance des tons est d'autant plus grande que le Chinois est pauvre en sons.

L’unité sémantique du Chinois (« morphème ») est donc composée d’un ou deux caractères (parfois plus), chacun étant associé à une syllabe (« phonème »). Chaque phonème est constitué par l’association de plusieurs sons formant une syllabe et d’un ton. Dans ce qui suit, j’utilise une transcription des sons « intuitive pour francophones », pour nous concentrer sur le problème des tons.

Echecs et jeu de go, phrase chinoise et phrase française
Je n’ai jamais rencontré d’explication convaincante et claire de la manière dont prononcer les tons dans une phrase chinoise. Cela tient peut-être au fait que le Chinois n’est enseigné pour être parlé que depuis peu, mais sans doute aussi au fait que l’unification de la prononciation du Chinois est un phénomène récent (début du XXe siècle), après des millénaires où seule la langue écrite était comprise de tous.

Le Français parlé et le Chinois parlé, à l’oreille d’une personne qui ne connait ni l’un ni l’autre, présentent une différence fondamentale : les mots français n’ont pas d’accent, mais la phrase suit un motif sonore global (« prosodie ») en fonction des émotions que le locuteur veut y transmettre. En Chinois c’est l’opposé : chaque syllabe a un accent musical (« ton »), et la prosodie est commandée par la succession des tons, laissant peu de liberté au locuteur.

Toi qui es familier du jeu d'échecs, peut-être l'opposition entre ces deux langues sera-t-elle clarifiée par l'opposition entre les échecs et le jeu de go : aux échecs, les mouvements particuliers des pièces et les combinaisons qu’ils permettent (la « tactique ») priment devant le motif général de la partie (la « stratégie »). En conséquence, un ordinateur puissant, essentiellement bon tacticien et mauvais stratège, pourra vaincre un joueur humain. Au go, en revanche, le jeu des motifs et les rapports de force que dessine la position des pierres (stratégie) sont plus importants, en général, que la pose d’une pierre à tel ou tel endroit (tactique). Et les ordinateurs… n’y parviennent pas.

De la même manière, la phrase française est, un peu comme une partie de go - le joueur/locuteur est libre du motif global -, tandis que dans la phrase chinoise, comme aux échecs, si tu oublies l’importance de chaque mouvement/syllabe, tu perds la partie.

La Musique au secours de la Littérature
A un violoniste chevroné, comment expliquer le système des tons autrement qu'en termes musicaux? Ceux-ci ne sont, après tout, qu’une modulation de la hauteur et de l’intensité des syllabes. J’avoue avoir peine à imaginer comment faire l’économie d’une telle explication, et je suis étonné de ne l’avoir vue nulle part exprimée de façon claire.

Un schéma, qu’on oublie vite comme on oublie ce qu’on ne comprend pas, se retrouve partout, comme bible du ton. Pour une bible, c’est plutôt la version abrégée. On nous dit de nous débrouiller avec ça :
Un schéma de cette complexité pourrait bien résumer la situation en Irak.

Et comme le professeur a comme une intuition que ce schéma ne se suffit pas à lui-même, on vous précise qu’en Chinois il y a quatre tons : 1) aigu et long, 2) grave et ascendant, 3) grave en signe Nike et 4) aigu, descendant et bref. Plus un 5e, non accentué, dit « ton neutre », de hauteur intermédiaire, qui n'apparaît jamais sur le schéma.

Et c’est plutôt une bonne explication : un Chinois, mis devant la tâche de prononcer un caractère, le prononcera effectivement ainsi. Un Chinois lisant un poème écrit en Chinois ancien, articulera chaque syllabe ainsi, et donc suivra ces cinq motifs.

Le problème, en fait, survient lorsque (ce qui pourra t’arriver) te prend l’ambition de prononcer deux syllabes à la suite en Chinois d’aujourd’hui. Jette donc un deuxième coup d’œil au schéma et essaie de prononcer, disons, « wo\/ ch\ fa\/ gwo/ jen/ », c’est-à-dire que tu es Français. Si tu penses qu’un Chinois te comprendra, bienvenue au club.

Arrivé à ce point, tu as deux options devant toi : lire des poèmes en Chinois ancien en articulant bien, ce qui certes est une noble occupation, ou bien… t’arracher les cheveux.

Chantez-vous Chinois ?
Le pire est que ce n’est pas si compliqué. Ca l’est en tout cas bien moins qu’il ne semble. Je te propose donc bien humblement ton premier cours de musique chinoise. Et pour faire simple, tu seras l’instrument (zéro investissement) et il n’y aura que cinq notes (zéro tracas).

Une conversation avec Mathieu m’a permis de clarifier un peu le système des tons. Il y a, me semble-t-il, trois règles importantes.
Principe : Seuls les tons importants et ceux en fin de groupe de mots sont articulés ("forme forte"). Pour les autres, seule la hauteur du ton importe pour être compris ("forme faible").
Ainsi, dans une phrase donnée, seuls quelques tons ont une importance forte, et seront prononcés tels que dans le schéma ci-dessus : sous leur forme forte (articulée). Tous les autres tons sont en retrait et on ne prononce en fait que leur hauteur ; c’est leur forme faible (atténuée).

Cela simplifie beaucoup la tâche : plus besoin d’articuler chaque ton ; il suffit de respecter un motif mélodique simple au cours duquel seuls les tons importants sont pleinement articulés.

Si nous reprenons le schéma ci-dessus (qui est "idéal"), les tons seront prononcés à peu près de la manière suivante  :

On a donc la typologie/hiérarchie suivante des tons sous leur forme articulée (forte) :
- le 4e ton est en haut, bref et accentué
- le 1er ton est au milieu et long
- le 2e ton est en bas et monte
- enfin, le 3e ton « caresse » le fond du fond.

Sous leur forme faible, les tons ne sont plus caractérisé que par leur hauteur. Le 1er et le 4e sont à la même hauteur. Un 5e ton, dit ton "léger", se pose entre le commencement du 2e ton et sa désinence; ce ton léger n'est jamais accentué.

Si un besoin pressant t’anime, tu pourras donc t'enquérir avec courtoisie :
Economie d'effort: si deux 3e tons se succèdent sous forme forte, le premier n'est que partiellement prononcé.
Pour éviter de "caresser" deux fois de suite le fond, la partie descendante du premier 3e ton disparaît :


Cette méthode simple devrait te permettre de prononcer de manière intelligible, sinon exacte, les tons de la langue chinoise. Dans ce qui suit, je retranscris à l’aide de cette méthode quelques phrases usuelles dont tu pourrais avoir l’usage.

D'où viens-tu?
La syllabe "fa" est l'information importante, elle est donc articulée et accentuée; la syllabe "jen" est en fin de phrase, elle est donc elle aussi articulée.

Ce superbe bracelet en faux jade te plaît-il?
Il est pas mal, mais combien ça coûte?
On te répond bien sûr en yuan, la monnaie chinoise :
Oulah ! Tu veux diviser le prix pas deux, quatre ou dix :
Pardonne-moi si j'ai été trop long; je n'ose espérer que ces quelques remarques se révèlent utiles lors de ton séjour et qu'en démystifiant la muraille des tons elle contribuent à rapprocher les fils du Ciel de ceux de la Louve.

Porte-toi bien,

Aurélien

Les tons chinois racontés à mon père

Cher Papa,

Tu me faisais part, dans ta dernière lettre, de ton intention de me rendre visite en Chine le mois prochain. Cette nouvelle me réjouit extrêmement et je serai très heureux de t'accueillir à Pékin. Pourtant, conscient des difficultés que m'ont données mes premiers pas sur ces terres lointaines, j'appréhende déjà que tu ne risques de passer à côté de belles choses faute de ne pouvoir te faire comprendre des Chinois.

Or, pour l'Etranger perdu dans la foule pékinoise, prononcer le Chinois semble une montagne à franchir plus abrupte que la courbe de croissance du PIB chinois. Dans les quelques développements qui suivent, je donne une méthode simple pour prononcer le Chinois, qui te laisse par la suite libre de cette première barrière.

Donner le ton au Chinois
Après deux années d’apprentissage du Chinois, lorsque je suis arrivé en Chine avec un peu de vocabulaire et beaucoup d’espérance, j’étais brutalement ramené à cette réalité douloureuse que les Chinois ne comprenaient pas un mot de ce que je disais, et que je ne les comprenais pas plus. Je pensais avoir fait le plus dur du chemin en apprenant quelques centaines de ces maudits caractères, qu’effectivement je pouvais lire et écrire, mais rien à faire, à l’oral, je ne les comprenais pas, et je n’étais pas compris.

Je me suis vite rendu compte que cette barrière tenait aux tons : le Chinois est une langue à tons, c’est-à-dire que chaque syllabe est prononcée selon un motif mélodique et rythmique particulier (il en existe cinq différents en mandarin). En cours de Chinois, on m’avait bien donné des éléments théoriques sur les tons, mais en Chine je me heurtais à leur mise en pratique.

Il m’a fallu plusieurs mois, et de longues discussions avec des Chinois, pour dégager des « règles d’ensemble » de prononciation des tons, qui avaient peu en commun avec ce qu’on m’en avait appris. Les Chinois appliquent ces règles spontanément, leur oreille les ayant acquises durant leur enfance, et peuvent difficilement les formuler avec clarté. Quant aux Occidentaux qui apprennent le Chinois, ils se satisfont bien souvent d’avoir franchi la barrière d’une prononciation ardue des sons, pour oser affronter celle, bien plus haute et obscure, des tons.

Une transcription des tons simple et intelligible ?
Le mois dernier, lorsque tu m’as fait part de ton intention de me rendre visite à Pékin, je me suis donc trouvé dans la nécessité de transcrire à ton intention la prononciation chinoise, d'une manière qui te parût simple et qui te permît d'être compris des Chinois.

Les sons de la langue chinoise eux-mêmes, s’ils sont difficiles à prononcer exactement, peuvent être approchés par une transcription phonétique relativement simple et suffisamment proche de l’original pour être intelligible des Chinois.

Mais une fois cette transcription des sons effectuée (ce que d’ailleurs ton guide de voyage propose à coup sûr en annexe), le problème reste entier. En effet, prononce le Chinois sans tons, et personne ne te comprendra.

D’où la question que je devais me poser : comment élaborer un système de transcription du Chinois, qui permette de te rendre intuitive la prononciation des tons chinois ? De nouveau, et comme pour les sons chinois, mon ambition n’était pas de proposer une transcription exacte, ce qui me paraît hors de portée, mais de transcrire les tons d’une manière simple (pour toi) et intelligible (pour les Chinois).

Structure du Chinois
Tout d’abord, il faut que je te dise quelques mots de la structure de la langue chinoise. Historiquement, le Chinois associe des triplets « un caractère – une syllabe – un sens ». Il se trouve que la langue chinoise n’utilise qu’un petit nombre de syllabes ; le Chinois moderne, pour compenser cette pauvreté syllabique source d’ambiguïtés, associe donc le plus souvent les caractères par paire. L'importance des tons est d'autant plus grande que le Chinois est pauvre en sons.

L’unité sémantique du Chinois (« morphème ») est donc composée d’un ou deux caractères (parfois plus), chacun étant associé à une syllabe (« phonème »). Chaque phonème est constitué par l’association de plusieurs sons formant une syllabe et d’un ton. Dans ce qui suit, j’utilise une transcription des sons « intuitive pour francophones », pour nous concentrer sur le problème des tons.

Echecs et jeu de go, phrase chinoise et phrase française
Je n’ai jamais rencontré d’explication convaincante et claire de la manière dont prononcer les tons dans une phrase chinoise. Cela tient peut-être au fait que le Chinois n’est enseigné pour être parlé que depuis peu, mais sans doute aussi au fait que l’unification de la prononciation du Chinois est un phénomène récent (début du XXe siècle), après des millénaires où seule la langue écrite était comprise de tous.

Le Français parlé et le Chinois parlé, à l’oreille d’une personne qui ne connait ni l’un ni l’autre, présentent une différence fondamentale : les mots français n’ont pas d’accent, mais la phrase suit un motif sonore global (« prosodie ») en fonction des émotions que le locuteur veut y transmettre. En Chinois c’est l’opposé : chaque syllabe a un accent musical (« ton »), et la prosodie est commandée par la succession des tons, laissant peu de liberté au locuteur.

Toi qui es familier du jeu d'échecs, peut-être l'opposition entre ces deux langues sera-t-elle clarifiée par l'opposition entre les échecs et le jeu de go : aux échecs, les mouvements particuliers des pièces et les combinaisons qu’ils permettent (la « tactique ») priment devant le motif général de la partie (la « stratégie »). En conséquence, un ordinateur puissant, essentiellement bon tacticien et mauvais stratège, pourra vaincre un joueur humain. Au go, en revanche, le jeu des motifs et les rapports de force que dessine la position des pierres (stratégie) sont plus importants, en général, que la pose d’une pierre à tel ou tel endroit (tactique). Et les ordinateurs… n’y parviennent pas.

De la même manière, la phrase française est, un peu comme une partie de go - le joueur/locuteur est libre du motif global -, tandis que dans la phrase chinoise, comme aux échecs, si tu oublies l’importance de chaque mouvement/syllabe, tu perds la partie.

La Musique au secours de la Littérature
A un violoniste chevroné, comment expliquer le système des tons autrement qu'en termes musicaux? Ceux-ci ne sont, après tout, qu’une modulation de la hauteur et de l’intensité des syllabes. J’avoue avoir peine à imaginer comment faire l’économie d’une telle explication, et je suis étonné de ne l’avoir vue nulle part exprimée de façon claire.

Un schéma, qu’on oublie vite comme on oublie ce qu’on ne comprend pas, se retrouve partout, comme bible du ton. Pour une bible, c’est plutôt la version abrégée. On nous dit de nous débrouiller avec ça :
Un schéma de cette complexité pourrait bien résumer la situation en Irak.

Et comme le professeur a comme une intuition que ce schéma ne se suffit pas à lui-même, on vous précise qu’en Chinois il y a quatre tons : 1) aigu et long, 2) grave et ascendant, 3) grave en signe Nike et 4) aigu, descendant et bref. Plus un 5e, non accentué, dit « ton neutre », de hauteur intermédiaire, qui n'apparaît jamais sur le schéma.

Et c’est plutôt une bonne explication : un Chinois, mis devant la tâche de prononcer un caractère, le prononcera effectivement ainsi. Un Chinois lisant un poème écrit en Chinois ancien, articulera chaque syllabe ainsi, et donc suivra ces cinq motifs.

Le problème, en fait, survient lorsque (ce qui pourra t’arriver) te prend l’ambition de prononcer deux syllabes à la suite en Chinois d’aujourd’hui. Jette donc un deuxième coup d’œil au schéma et essaie de prononcer, disons, « wo\/ ch\ fa\/ gwo/ jen/ », c’est-à-dire que tu es Français. Si tu penses qu’un Chinois te comprendra, bienvenue au club.

Arrivé à ce point, tu as deux options devant toi : lire des poèmes en Chinois ancien en articulant bien, ce qui certes est une noble occupation, ou bien… t’arracher les cheveux.

Chantez-vous Chinois ?
Le pire est que ce n’est pas si compliqué. Ca l’est en tout cas bien moins qu’il ne semble. Je te propose donc bien humblement ton premier cours de musique chinoise. Et pour faire simple, tu seras l’instrument (zéro investissement) et il n’y aura que cinq notes (zéro tracas).

Une conversation avec Mathieu m’a permis de clarifier un peu le système des tons. Il y a, me semble-t-il, trois règles importantes.
Principe : Seuls les tons importants et ceux en fin de groupe de mots sont articulés ("forme forte"). Pour les autres, seule la hauteur du ton importe pour être compris ("forme faible").
Ainsi, dans une phrase donnée, seuls quelques tons ont une importance forte, et seront prononcés tels que dans le schéma ci-dessus : sous leur forme forte (articulée). Tous les autres tons sont en retrait et on ne prononce en fait que leur hauteur ; c’est leur forme faible (atténuée).

Cela simplifie beaucoup la tâche : plus besoin d’articuler chaque ton ; il suffit de respecter un motif mélodique simple au cours duquel seuls les tons importants sont pleinement articulés.

Si nous reprenons le schéma ci-dessus (qui est "idéal"), les tons seront prononcés à peu près de la manière suivante  :

On a donc la typologie/hiérarchie suivante des tons sous leur forme articulée (forte) :
- le 4e ton est en haut, bref et accentué
- le 1er ton est au milieu et long
- le 2e ton est en bas et monte
- enfin, le 3e ton « caresse » le fond du fond.

Sous leur forme faible, les tons ne sont plus caractérisé que par leur hauteur. Le 1er et le 4e sont à la même hauteur. Un 5e ton, dit ton "léger", se pose entre le commencement du 2e ton et sa désinence; ce ton léger n'est jamais accentué.

Si un besoin pressant t’anime, tu pourras donc t'enquérir avec courtoisie :
Economie d'effort: si deux 3e tons se succèdent sous forme forte, le premier n'est que partiellement prononcé.
Pour éviter de "caresser" deux fois de suite le fond, la partie descendante du premier 3e ton disparaît :


Cette méthode simple devrait te permettre de prononcer de manière intelligible, sinon exacte, les tons de la langue chinoise. Dans ce qui suit, je retranscris à l’aide de cette méthode quelques phrases usuelles dont tu pourrais avoir l’usage.

D'où viens-tu?
La syllabe "fa" est l'information importante, elle est donc articulée et accentuée; la syllabe "jen" est en fin de phrase, elle est donc elle aussi articulée.

Ce superbe bracelet en faux jade te plaît-il?
Il est pas mal, mais combien ça coûte?
On te répond bien sûr en yuan, la monnaie chinoise :
Oulah ! Tu veux diviser le prix pas deux, quatre ou dix :
Pardonne-moi si j'ai été trop long; je n'ose espérer que ces quelques remarques se révèlent utiles lors de ton séjour et qu'en démystifiant la muraille des tons elle contribuent à rapprocher les fils du Ciel de ceux de la Louve.

Porte-toi bien,

Aurélien

jeudi 6 mai 2010

Chantez un poème chinois

En bonus de cet essai de traduction, voici en avant-première la "partition" du poème de Wang Bo auquel nous nous frottions. Que vous parliez ou non  le Chinois, vous pourrez ainsi chanter ces vers d'adieu et, j'espère, en mieux saisir la beauté que derrière le filtre d'une traduction.

Voici donc ce poème au "sous-préfet Dou nommé dans l'Etat de Chou", en vers par vers et sur portée.

Chantez un poème chinois

En bonus de cet essai de traduction, voici en avant-première la "partition" du poème de Wang Bo auquel nous nous frottions. Que vous parliez ou non  le Chinois, vous pourrez ainsi chanter ces vers d'adieu et, j'espère, en mieux saisir la beauté que derrière le filtre d'une traduction.

Voici donc ce poème au "sous-préfet Dou nommé dans l'Etat de Chou", en vers par vers et sur portée.

mardi 4 mai 2010

Comment traduire l'adieu?

La Chine a donné trois grandes choses au monde : la poésie, la porcelaine et les nouilles.

Une porcelaine, on l'apprécie à l'oeil en la faisant briller, au doigt en caressant ses motifs, au son en la laissant tomber. Les nouilles sont l'ami le plus fidèle de l'étudiant fauché. Mais les poèmes? Comment rendre en Français les mots d'un poète Jaune? Si la langue chinoise était claire en soi, cela se saurait, mais comment rendre en Français la beauté des ambiguïtés?

En Chinois plus qu'ailleurs, les traductions sont comme les femmes: celles qui sont belles sont infidèles, celles qui sont fidèles... sont d'une bonne famille. Pourtant, je vous propose de traduire ensemble un poème de Wang Bo, qui fut fonctionnaire au VIIe siècle de notre ère et poète à ses heures.
Source: wikipedia
Voici la bête, en huit fois cinq caractères :

杜少府之任蜀州
dù shăo fǔ zhī rèn shǔ zhōu

城阙辅三秦
chéng què fǔ sān qín
风烟望五津
fēng yān wàng wǔ jīn
与君离别意
yǔ jūn lí bíe yì
同是宦游人
tóng shì huàn yóu rén

海内存知己
hǎi nèi cún zhī jǐ
天涯若比邻
tiān yá ruò bì lín
无为在歧路
wú wéi zài qí lù
儿女共沾襟
ér nǚ gòng zhān jīn

Disons-le de but en blanc: le poète a supprimé tout mot non nécessaire. Seuls restent ceux qui contribuent à l'atmosphère ou au rythme du poème. Chaque caractère porte son sens; pas de grammaire ; ni pluriel ni singulier ; chaque mot peut être verbe, nom ou adjectif selon les cas. Même le mot-à-mot est difficile, car chaque expression est porteuse d'allusions... On va pas se laisser abattre !

杜少府之任蜀州
Dou - sous - préfet - nommé (en deux caractères) - Chou - Etat
Wang Bo écrit un poème en l'honneur de son ami le sous-préfet Dou, qui est affecté dans l'Etat de Chou. L'Etat de Chou désigne l'actuel Sichuan.

城阙辅三秦
ville - tours de garde de chaque côté des portes - protéger, garder, soutenir - trois - Qin
La ville en question est Xi'an, capitale du royaume de Tch'in (l'actuel Shaanxi). Lorsqu'elle fut conquise par Xiàng Yǔ (项羽, celui-ci sépara ses environs en trois provinces, et mis à la tête de chacune un des généraux qui s'étaient rendus - d'où les Trois (Etats de) Tch'in

风烟望五津
vent - brume - voir au loin - cinq - gué
Les cinq gués désignent cinq passages du fleuve, et par extension la province du Sichuan.

与君离别意
de - vous (respectueux) - se séparer (en deux caractères) - sentiment

同是宦游人
pareil - être - fonctionnaire - itinérant - homme

海内存知己
mer - à l'intérieur - posséder - [connaître - soi-même]
A l'intérieur des mers: la terre est bordée par les Quatre mers, l'expression veut donc dire "sur la terre". 知己 [connaître - soi-même]: désigne un ami intime/fidèle/vrai, qui vous connaît tel qu'en vous-même.

天涯若比邻
ciel - extrémités - comme si - comme si - voisin/proche
Les extrémités du Ciel: nous, nous parlons des quatre coins du monde...

无为在歧路
ne pas - agir - à - croisée/lieu de séparation - chemin/route
Wuwei désigne aussi le non-agir; dans la même idée, l'expression signifie: pas besoin de..., se retenir de..., se garder de...

儿女共沾襟
jeune homme - jeune fille - ensemble - mouiller - mouchoir
Jeune homme, jeune fille: avec son habituelle concision, le Chinois aime associer deux termes pour en retenir l'idée commune; l'expression désigne donc les jeunes gens. Les djeûns quoi.

D'où la plus fidèle des traductions:

Au sous-préfet Dou nommé dans l'Etat de Chou

Ville - tours de garde -  protéger - les Trois (Etats de) Tch'in
Vent - brume - voir au loin - les Cinq Gués
De vous - se séparer - sentiment
Pareil - être - fonctionnaire - itinérant

A l'intérieur des mers - posséder - [quelqu'un qui] connaît soi-même
[Alors] Les deux extrémités du Ciel - comme si - voisin
Ne pas agir - à la croisée des chemins
Jeune homme - jeune fille - ensemble - mouiller - mouchoir

Je vous propose ensuite deux traductions plus libres.

Traduction 1:
Au sous-préfet Dou nommé dans l'Etat de Chou

Les tours de la Cité gardent les Trois Royaumes,
Il vente, et les Cinq Gués sont noyés dans la brume.
Nous nous quittons ; que dire ?
Nous voyageons tous deux où l’Etat nous appelle.

Pour celui qui, sur terre, a un ami fidèle,
Le bout du monde est la porte à côté.
Gardons-nous, arrivés à la croisée des chemins,
De nous émouvoir comme de jeunes gens.

Traduction 2:
Pour Dou nommé en pays Chou

Voûtes de crainte
La brume est à des lieues
Tu pars. Que dire?
Nous sommes gens de passage.

Nuit de l'homme
Et tu l'éclaires de loin
Pas d'adieux
- on peut être cons quand on est vieux

Comment traduire l'adieu?

La Chine a donné trois grandes choses au monde : la poésie, la porcelaine et les nouilles.

Une porcelaine, on l'apprécie à l'oeil en la faisant briller, au doigt en caressant ses motifs, au son en la laissant tomber. Les nouilles sont l'ami le plus fidèle de l'étudiant fauché. Mais les poèmes? Comment rendre en Français les mots d'un poète Jaune? Si la langue chinoise était claire en soi, cela se saurait, mais comment rendre en Français la beauté des ambiguïtés?

En Chinois plus qu'ailleurs, les traductions sont comme les femmes: celles qui sont belles sont infidèles, celles qui sont fidèles... sont d'une bonne famille. Pourtant, je vous propose de traduire ensemble un poème de Wang Bo, qui fut fonctionnaire au VIIe siècle de notre ère et poète à ses heures.
Source: wikipedia
Voici la bête, en huit fois cinq caractères :

杜少府之任蜀州
dù shăo fǔ zhī rèn shǔ zhōu

城阙辅三秦
chéng què fǔ sān qín
风烟望五津
fēng yān wàng wǔ jīn
与君离别意
yǔ jūn lí bíe yì
同是宦游人
tóng shì huàn yóu rén

海内存知己
hǎi nèi cún zhī jǐ
天涯若比邻
tiān yá ruò bì lín
无为在歧路
wú wéi zài qí lù
儿女共沾襟
ér nǚ gòng zhān jīn

Disons-le de but en blanc: le poète a supprimé tout mot non nécessaire. Seuls restent ceux qui contribuent à l'atmosphère ou au rythme du poème. Chaque caractère porte son sens; pas de grammaire ; ni pluriel ni singulier ; chaque mot peut être verbe, nom ou adjectif selon les cas. Même le mot-à-mot est difficile, car chaque expression est porteuse d'allusions... On va pas se laisser abattre !

杜少府之任蜀州
Dou - sous - préfet - nommé (en deux caractères) - Chou - Etat
Wang Bo écrit un poème en l'honneur de son ami le sous-préfet Dou, qui est affecté dans l'Etat de Chou. L'Etat de Chou désigne l'actuel Sichuan.

城阙辅三秦
ville - tours de garde de chaque côté des portes - protéger, garder, soutenir - trois - Qin
La ville en question est Xi'an, capitale du royaume de Tch'in (l'actuel Shaanxi). Lorsqu'elle fut conquise par Xiàng Yǔ (项羽, celui-ci sépara ses environs en trois provinces, et mis à la tête de chacune un des généraux qui s'étaient rendus - d'où les Trois (Etats de) Tch'in

风烟望五津
vent - brume - voir au loin - cinq - gué
Les cinq gués désignent cinq passages du fleuve, et par extension la province du Sichuan.

与君离别意
de - vous (respectueux) - se séparer (en deux caractères) - sentiment

同是宦游人
pareil - être - fonctionnaire - itinérant - homme

海内存知己
mer - à l'intérieur - posséder - [connaître - soi-même]
A l'intérieur des mers: la terre est bordée par les Quatre mers, l'expression veut donc dire "sur la terre". 知己 [connaître - soi-même]: désigne un ami intime/fidèle/vrai, qui vous connaît tel qu'en vous-même.

天涯若比邻
ciel - extrémités - comme si - comme si - voisin/proche
Les extrémités du Ciel: nous, nous parlons des quatre coins du monde...

无为在歧路
ne pas - agir - à - croisée/lieu de séparation - chemin/route
Wuwei désigne aussi le non-agir; dans la même idée, l'expression signifie: pas besoin de..., se retenir de..., se garder de...

儿女共沾襟
jeune homme - jeune fille - ensemble - mouiller - mouchoir
Jeune homme, jeune fille: avec son habituelle concision, le Chinois aime associer deux termes pour en retenir l'idée commune; l'expression désigne donc les jeunes gens. Les djeûns quoi.

D'où la plus fidèle des traductions:

Au sous-préfet Dou nommé dans l'Etat de Chou

Ville - tours de garde -  protéger - les Trois (Etats de) Tch'in
Vent - brume - voir au loin - les Cinq Gués
De vous - se séparer - sentiment
Pareil - être - fonctionnaire - itinérant

A l'intérieur des mers - posséder - [quelqu'un qui] connaît soi-même
[Alors] Les deux extrémités du Ciel - comme si - voisin
Ne pas agir - à la croisée des chemins
Jeune homme - jeune fille - ensemble - mouiller - mouchoir

Je vous propose ensuite deux traductions plus libres.

Traduction 1:
Au sous-préfet Dou nommé dans l'Etat de Chou

Les tours de la Cité gardent les Trois Royaumes,
Il vente, et les Cinq Gués sont noyés dans la brume.
Nous nous quittons ; que dire ?
Nous voyageons tous deux où l’Etat nous appelle.

Pour celui qui, sur terre, a un ami fidèle,
Le bout du monde est la porte à côté.
Gardons-nous, arrivés à la croisée des chemins,
De nous émouvoir comme de jeunes gens.

Traduction 2:
Pour Dou nommé en pays Chou

Voûtes de crainte
La brume est à des lieues
Tu pars. Que dire?
Nous sommes gens de passage.

Nuit de l'homme
Et tu l'éclaires de loin
Pas d'adieux
- on peut être cons quand on est vieux

jeudi 29 avril 2010

Poème des rizières sur la colline

Je suis face au néant
Trapéziste à la brune
Légère, au silence de glace,
Perlé comme un cri.

Longji, dans le Guangxi un soir de brume

Poème des rizières sur la colline

Je suis face au néant
Trapéziste à la brune
Légère, au silence de glace,
Perlé comme un cri.

Longji, dans le Guangxi un soir de brume

mercredi 28 avril 2010

La bicyclette bleue

Ruelle du Manteau de Paille, presque en face du 21... Enfin un vélo chinois qui a la classe !

La bicyclette bleue

Ruelle du Manteau de Paille, presque en face du 21... Enfin un vélo chinois qui a la classe !

dimanche 25 avril 2010

Les Dimanches de la Poésie Acide

On est entrés par hasard.

J'ai compris notre erreur au bout de trois secondes environ. C'est le temps que prend mon cerveau pour faire le tour de l'assistance, ramolli par la triple conjonction d'enzymes gastriques en pic d'activité, de mollets en capilotade après les efforts de la veille et de méninges affolées par la menace de pluies acides chargées de cendres volcaniques.

Venant de la terrasse, on les voit immobiles et silencieux, en cercle derrière les baies vitrées comme de gros poissons morts flottant dans un aquarium. Pousser la porte, descendre deux marches grinçantes, tel le duc de Nevers ("nevermore!", s'écrie Poe) pour aller où l'on dansait.

A midi du cercle, un gros poisson chevelu siège et orchestre le sacrifice, déesse grecque encore fraîche du pinceau de l'artiste. Elle a pris les boucles rousses des femmes de Toulouse-Lautrec, sur sa joue gauche la mouche espiègle d'une belle de Renoir, sa taille bien grasse est saisie par Véronèse, et Courbet doit être à l'Origine de la convulsion de ses  bras dodus.

Dans l'appenti pentu, les apprentis s'apprêtent. On entre, tout cesse, les regards se tournent et convergent, la déesse se fend d'un "welcooooooome !" et nous voilà dans ses filets. Dio mio.

Elle est ravie qu'on soit là, elle est ravie que tout le monde soit là, elle est ravie que nous soyons sur le point d'écrire de la Poésie, des vers immortels qui survivront à la flétrissure du marbre. 

D'ailleurs tout le monde a l'air ravi. Jetés au milieu d'un atelier de poésie, on a rejoint les alcooliques anonymes.
"Je crois que Robert voulait nous dire quelque chose aujourd'hui... Robert?
- Je voulais vous dire... A cause de l'alcool, j'ai perdu mes amis, j'ai eu de mauvaises fréquentations, ma femme m'a quitté, je croulais sous les dettes, j'ai même laissé mourir Bob, mon poisson rouge. Ma vie était un enfer, et je ne voyais pas le bout du tunnel. Et un jour, j'ai rencontré les GAGs [Gentils Alcoliques Grabataires, NdT] et ma vie a changé. Soudain, j'ai retrouvé le sourire. Je n'étais plus seul face à mes hantises, on était tous dans le même bateau. Alors j'ai jeté cette p... de bouteille, et ce p... d'alcool et tout et tout, et j'ai fais le ménage dans ma p... de vie, et j'ai balayé mes p... de mauvaises habitudes, et tout, et tout! Et maintenant, je suis un autre homme. Je me rend compte de tout le temps que je perdais, et de tout le fric que ça m'engloutissait. Maintenant, j'ai acheté un cochon-d'inde, qui s'appelle Bobby, et je fais des maquettes avec des cure-dents usagés, et je vais bientôt exposer mes maquettes à la foire régionale de Trouillis-en-Glottois. J'ai enfin trouvé un sens à ma vie. Et tout ça, c'est grâce aux GAGs ! Merci, merci, merci !" Et Robert fond en larmes.
"On applaudit tous Robert! (Tous en coeur) Bravo, Robert !"
Aujourd'hui, Robert fait de la poésie. L'odalisque dans son fauteuil coincée tenait en ses mains une feuille. "Savez-vous ce qu'est une métaphore?" La feuille de bananier, sans que soit jamais mentionné son usage canonique de camouflage en sculpture dans le style Antique, sera successivement comparée: à une langue pour la forme, à un miasme pour on ne sait quoi, à un blouson de cuir avec un Ange sur le dos pour le toucher, à une chair d'enfant pour l'odeur. A moins que ce ne soit l'inverse.

Des sommets en appelant d'autres, un souvenir confus fusa dans ma mémoire, deux vers presque inconnus, refrain inachevé, frais comme le hasard, moins écrit que rêvé:
"Le vent claque,
Les feuilles craquent,
Je les croque,
Cric ! Crac ! Croc !"
On touche à l'Himalaya. Merci Tom-Tom et Nana.

Tel une feuille morte, je craque lorque la Grâce nous fait lire du Byron. Je sors et je vais acheter des livres. A vélo, les pluies acides me fouettent le visage.

Morale de l'histoire: abandonnez les basiques, ouvrez-vous à l'acide, laissez tomber vos parapluies, laissez pleuvoir les commentaires, aujourd'hui pas de censure, aujourd'hui c'est dimanche, et comme chaque week-end, vous êtes les bienvenus aux Dimanches de la Poésie Acide !

Les Dimanches de la Poésie Acide

On est entrés par hasard.

J'ai compris notre erreur au bout de trois secondes environ. C'est le temps que prend mon cerveau pour faire le tour de l'assistance, ramolli par la triple conjonction d'enzymes gastriques en pic d'activité, de mollets en capilotade après les efforts de la veille et de méninges affolées par la menace de pluies acides chargées de cendres volcaniques.

Venant de la terrasse, on les voit immobiles et silencieux, en cercle derrière les baies vitrées comme de gros poissons morts flottant dans un aquarium. Pousser la porte, descendre deux marches grinçantes, tel le duc de Nevers ("nevermore!", s'écrie Poe) pour aller où l'on dansait.

A midi du cercle, un gros poisson chevelu siège et orchestre le sacrifice, déesse grecque encore fraîche du pinceau de l'artiste. Elle a pris les boucles rousses des femmes de Toulouse-Lautrec, sur sa joue gauche la mouche espiègle d'une belle de Renoir, sa taille bien grasse est saisie par Véronèse, et Courbet doit être à l'Origine de la convulsion de ses  bras dodus.

Dans l'appenti pentu, les apprentis s'apprêtent. On entre, tout cesse, les regards se tournent et convergent, la déesse se fend d'un "welcooooooome !" et nous voilà dans ses filets. Dio mio.

Elle est ravie qu'on soit là, elle est ravie que tout le monde soit là, elle est ravie que nous soyons sur le point d'écrire de la Poésie, des vers immortels qui survivront à la flétrissure du marbre. 

D'ailleurs tout le monde a l'air ravi. Jetés au milieu d'un atelier de poésie, on a rejoint les alcooliques anonymes.
"Je crois que Robert voulait nous dire quelque chose aujourd'hui... Robert?
- Je voulais vous dire... A cause de l'alcool, j'ai perdu mes amis, j'ai eu de mauvaises fréquentations, ma femme m'a quitté, je croulais sous les dettes, j'ai même laissé mourir Bob, mon poisson rouge. Ma vie était un enfer, et je ne voyais pas le bout du tunnel. Et un jour, j'ai rencontré les GAGs [Gentils Alcoliques Grabataires, NdT] et ma vie a changé. Soudain, j'ai retrouvé le sourire. Je n'étais plus seul face à mes hantises, on était tous dans le même bateau. Alors j'ai jeté cette p... de bouteille, et ce p... d'alcool et tout et tout, et j'ai fais le ménage dans ma p... de vie, et j'ai balayé mes p... de mauvaises habitudes, et tout, et tout! Et maintenant, je suis un autre homme. Je me rend compte de tout le temps que je perdais, et de tout le fric que ça m'engloutissait. Maintenant, j'ai acheté un cochon-d'inde, qui s'appelle Bobby, et je fais des maquettes avec des cure-dents usagés, et je vais bientôt exposer mes maquettes à la foire régionale de Trouillis-en-Glottois. J'ai enfin trouvé un sens à ma vie. Et tout ça, c'est grâce aux GAGs ! Merci, merci, merci !" Et Robert fond en larmes.
"On applaudit tous Robert! (Tous en coeur) Bravo, Robert !"
Aujourd'hui, Robert fait de la poésie. L'odalisque dans son fauteuil coincée tenait en ses mains une feuille. "Savez-vous ce qu'est une métaphore?" La feuille de bananier, sans que soit jamais mentionné son usage canonique de camouflage en sculpture dans le style Antique, sera successivement comparée: à une langue pour la forme, à un miasme pour on ne sait quoi, à un blouson de cuir avec un Ange sur le dos pour le toucher, à une chair d'enfant pour l'odeur. A moins que ce ne soit l'inverse.

Des sommets en appelant d'autres, un souvenir confus fusa dans ma mémoire, deux vers presque inconnus, refrain inachevé, frais comme le hasard, moins écrit que rêvé:
"Le vent claque,
Les feuilles craquent,
Je les croque,
Cric ! Crac ! Croc !"
On touche à l'Himalaya. Merci Tom-Tom et Nana.

Tel une feuille morte, je craque lorque la Grâce nous fait lire du Byron. Je sors et je vais acheter des livres. A vélo, les pluies acides me fouettent le visage.

Morale de l'histoire: abandonnez les basiques, ouvrez-vous à l'acide, laissez tomber vos parapluies, laissez pleuvoir les commentaires, aujourd'hui pas de censure, aujourd'hui c'est dimanche, et comme chaque week-end, vous êtes les bienvenus aux Dimanches de la Poésie Acide !

mardi 20 avril 2010

Is there anybody out there?

Le monde a l'air de s'être arrêté. L'Europe n'est plus au bout du fil. Les vues du ciel montrent un ciel pur, mais on nous dit que des particules-voyous planent aux nues. Aux miradors, les régulateurs veillent, en attente de la circulaire libératrice. Les karchers sont au repos.

L'homme est comme ramené à sa terranéité, à la limitation dimensionnelle qui est après tout la plus simple manière de le différencier d'un requin et d'un vautour. Le ciel est bleu, mais sans accès. Un vent de paix souffle sur l'Europe.

De ce côté du globe, on s'est fait à l'inverse. Aux ciels pas très clairs, mais où ça passe quand même. On n'est jamais trop sûr du smog ou du vent de sable qui plane au-dessus de nos têtes, mais le pilote passe quoi qu'il arrive. Comment une bête perturbation atmosphérique arrêterait-elle sur sa lancée un pays qui s'est doté d'un bureau de Planification de la Météo?

Soudain ces deux antipodes redeviennent distants l'un de l'autre. Rejoindre l'Europe prend à nouveau plus de temps qu'une lettre à la poste. Seul le téléphone, le courriel nous relient au Vieux continent - et ce ne sont que du vent sur la plaine, des bits d'information, des suites de zéros et de uns.

Et figés dans l'attente, tels avant le duel final d'un western de l'immatérialité, on attend.

Is there anybody out there?

Le monde a l'air de s'être arrêté. L'Europe n'est plus au bout du fil. Les vues du ciel montrent un ciel pur, mais on nous dit que des particules-voyous planent aux nues. Aux miradors, les régulateurs veillent, en attente de la circulaire libératrice. Les karchers sont au repos.

L'homme est comme ramené à sa terranéité, à la limitation dimensionnelle qui est après tout la plus simple manière de le différencier d'un requin et d'un vautour. Le ciel est bleu, mais sans accès. Un vent de paix souffle sur l'Europe.

De ce côté du globe, on s'est fait à l'inverse. Aux ciels pas très clairs, mais où ça passe quand même. On n'est jamais trop sûr du smog ou du vent de sable qui plane au-dessus de nos têtes, mais le pilote passe quoi qu'il arrive. Comment une bête perturbation atmosphérique arrêterait-elle sur sa lancée un pays qui s'est doté d'un bureau de Planification de la Météo?

Soudain ces deux antipodes redeviennent distants l'un de l'autre. Rejoindre l'Europe prend à nouveau plus de temps qu'une lettre à la poste. Seul le téléphone, le courriel nous relient au Vieux continent - et ce ne sont que du vent sur la plaine, des bits d'information, des suites de zéros et de uns.

Et figés dans l'attente, tels avant le duel final d'un western de l'immatérialité, on attend.

dimanche 18 avril 2010

Deux pékins dans le Yunnan (4/4): Sur les contreforts de l’Himalaya

Jeudi 8 avril
Beau trajet vers Lijiang ; les champs sont noirs de monde. Dessin de leur bordure, géométrie de grande échelle. Zones de patchwork, où les aires des champs sont rayées de l’alternance 50-50 des bandes cultivées et des voies d’irrigation pleines de soleil.

Lijiang aussi touristique qu’on s’y attendait. D’un coup nous expédions nos emplettes : écharpes de soie, calligraphie, cartes postales…
Lijiang : le passé est le futur de la Chine.
"Les peuples heureux n’ont pas d’histoire" : quid de la Chine ?

Belle route de nouveau pour Shangri-la (anciennement "Zhongdian", rebaptisé philanthropiquement...) : ascension sinueuse vers des sommets enneigés.
Là, mal de tête léger. Pléthore de british blonds, sac-à-dos à dos.

Vendredi 9 avril
Shangri-la existe, je l’ai rencontré ; mais pas ici. Sur la route de Lijiang à Zhongdian – une vallée et sa rivière, des rizières vertes et ensoleillées, pas d’agitation. Qu’est le Shangri-la rêvé des Chinois ? Sans doute bien différent du nôtre : industrieux ? animé ? organisé/réglé ? une autre notion de l'harmonie ?

Visite au monastère de Songzanlin, prix éhonté. Versailles commence aussi par une billetterie.
Chemin de ronde autour du lac devant le monastère: "respectez les religions, attention sol glissant."
Monter, toujours monter… Les Chinois savent-ils descendre… ? Beauté de la descente, comme Stendhal qui dit-on trouvait du génie dans la manière d'une femme de descendre de voiture.

Office bouddhiste. Aux murs, des fresques chagalliennes. Travées de larges bancs coussinés où s’accroupir. Moines sur ces travées, face-à-face en rangs.
Un borborygme qui se répète, à peine psalmodié. Clochettes. Voix rauques, égrotantes des moines, des moinillons, interrompues de leurs raclements de gorge. Peu de conviction, peu de ferveur. Les diseurs se balancent en rauquisant.
A un coup de tambour, tous les plus jeunes sortent. Puis rentrent à nouveau. D’autres déjeunent dans une salle latérale.
Deux touristes Han : elle lui passe son Nikon, et hop trois prosternations. Pratique efficace du culte.
Sur la rotation: les Hans font tourner ce monastère, font tourner la Chine. Au centre de Shangri-la, au sommet d'une petite colline, contigu au temple sommital de rigueur, un moulin à prière géant. Deux petites filles (tibétaines?), dont les mères montent laborieusement l'escalier en répétant leurs prières à chaque marche, essaient de le mettre en mouvement. Je me fais leur bras. Dans son inertie, l'immense moulin aux dorures et svastikas tourne un long temps.
Cartes postales rédigées, c'est le tour des emplettes (boite à bijoux en corne de yak, vase craquelé à dragon bleu sur fond blanc...). Pesant mal de tête. L’avion décolle à 21h40. En attendant, deux chocolats chauds (vanille pour Papa, caramel pour moi) au Noah café.

A Kunming, l’hôtel donne sur le périph. Vacarme ; je dors dans la salle de bain. Fin de mes 23 ans.

Deux pékins dans le Yunnan (4/4): Sur les contreforts de l’Himalaya

Jeudi 8 avril
Beau trajet vers Lijiang ; les champs sont noirs de monde. Dessin de leur bordure, géométrie de grande échelle. Zones de patchwork, où les aires des champs sont rayées de l’alternance 50-50 des bandes cultivées et des voies d’irrigation pleines de soleil.

Lijiang aussi touristique qu’on s’y attendait. D’un coup nous expédions nos emplettes : écharpes de soie, calligraphie, cartes postales…
Lijiang : le passé est le futur de la Chine.
"Les peuples heureux n’ont pas d’histoire" : quid de la Chine ?

Belle route de nouveau pour Shangri-la (anciennement "Zhongdian", rebaptisé philanthropiquement...) : ascension sinueuse vers des sommets enneigés.
Là, mal de tête léger. Pléthore de british blonds, sac-à-dos à dos.

Vendredi 9 avril
Shangri-la existe, je l’ai rencontré ; mais pas ici. Sur la route de Lijiang à Zhongdian – une vallée et sa rivière, des rizières vertes et ensoleillées, pas d’agitation. Qu’est le Shangri-la rêvé des Chinois ? Sans doute bien différent du nôtre : industrieux ? animé ? organisé/réglé ? une autre notion de l'harmonie ?

Visite au monastère de Songzanlin, prix éhonté. Versailles commence aussi par une billetterie.
Chemin de ronde autour du lac devant le monastère: "respectez les religions, attention sol glissant."
Monter, toujours monter… Les Chinois savent-ils descendre… ? Beauté de la descente, comme Stendhal qui dit-on trouvait du génie dans la manière d'une femme de descendre de voiture.

Office bouddhiste. Aux murs, des fresques chagalliennes. Travées de larges bancs coussinés où s’accroupir. Moines sur ces travées, face-à-face en rangs.
Un borborygme qui se répète, à peine psalmodié. Clochettes. Voix rauques, égrotantes des moines, des moinillons, interrompues de leurs raclements de gorge. Peu de conviction, peu de ferveur. Les diseurs se balancent en rauquisant.
A un coup de tambour, tous les plus jeunes sortent. Puis rentrent à nouveau. D’autres déjeunent dans une salle latérale.
Deux touristes Han : elle lui passe son Nikon, et hop trois prosternations. Pratique efficace du culte.
Sur la rotation: les Hans font tourner ce monastère, font tourner la Chine. Au centre de Shangri-la, au sommet d'une petite colline, contigu au temple sommital de rigueur, un moulin à prière géant. Deux petites filles (tibétaines?), dont les mères montent laborieusement l'escalier en répétant leurs prières à chaque marche, essaient de le mettre en mouvement. Je me fais leur bras. Dans son inertie, l'immense moulin aux dorures et svastikas tourne un long temps.
Cartes postales rédigées, c'est le tour des emplettes (boite à bijoux en corne de yak, vase craquelé à dragon bleu sur fond blanc...). Pesant mal de tête. L’avion décolle à 21h40. En attendant, deux chocolats chauds (vanille pour Papa, caramel pour moi) au Noah café.

A Kunming, l’hôtel donne sur le périph. Vacarme ; je dors dans la salle de bain. Fin de mes 23 ans.

jeudi 15 avril 2010

Deux pékins au Yunnan (3/4): le paradis retrouvé

Lundi 5 avril
Yunnan capitale des papilles ! Petit-déjeuner de 包子 (Baozi, petits pains fourrés), puis 4 heures de car pour Yunlong. Paysages de montagnes, de rizières comme dans le Guizhou, mais sur une terre rouge. Au fond, une rivière boueuse : le Mékong ? Nouveau déjeuner délicieux (brocolis et haricots frits, bœuf coupiché). Le car malmène mon estomac.

Minibus aux prix irrationnels. Quelle rationalité quand l’étranger déverse ses pépettes ? Equivalent d’un loto permanent, ou en creux d’une rafale de crises financières.

Vue de Taijitu : la rivière dessine en deux méandres un yin et un yang. Au milieu : collines, village, rizières. C’est troublant.

Nous montons alors à Nuodeng, vieux village de l’ethnie Bai. L’atmosphère paisible, l’air calme et chaud, le son des clarines et le chant des oiseaux, la sienne de la terre et la pierre des bâtisses, l’escarpement des lieux, la paix des toits courbes, les tortueux escaliers de pierre, une vieille maison à cour tournée en chambres d’hôtes, les cris d’une école primaire, le sourire des enfants, le regard des vieillards et le soir qui descend nous convainquent d’y rester quelque temps.

En haut de la colline, non restauré, un temple de Confucius, au calme souverain.
Première leçon de Tai Chi Chuan : un tiers de la première partie. Tel un pantin, accroché aux « fils du Ciel »…
Il n’y a pas de temple plus beau en Chine, seulement des temples plus restaurés.
« Le Bouddhisme est l’Un [l’introspection], le Christianisme est le Deux [la relation à l’Autre]». Et le Taoïsme, le Zéro ?

Poules de basse-cour, poules de haute cour, caquètent.
Après nous être restaurés (辣猪et wosuan du village), lecture tranquille. Tee-shirt blanc séchant accroché flottant au fil à linge qui longe le premier étage d’un côté de cour.
La télé : seul objet dans le village dont le soir ne gêne pas l’utilisation. Le petit est devant la télé.
La poubelle du repas : la chienne de la maison, 13 ans, petite et tachetée. Son fils : un grand gros chien de 5 mois.
Les lanternes flottent dans le vent, au centre une bougie électrique.

Mardi 6 avril
Addition du dîner de la veille : 50 kuai. Le jardin donne des œufs d’or.

Balade dans les collines en face. Muletiers. Terre rouge sous le vert franc des pins, mise au jour dans les champs : sur les collines cultivées, de grandes plaques de terre ocre sont cernées de vert. C’est si beau qu’on se croirait dans le Sud de la France (dit-il l'air sérieux).

Les alentours aux jumelles : dans le rond de l’objectif, une forêt parfaite – pins réguliers sans trop l’être, d’un beau vert franc, aqueux, aux petites touffes blotties dans la distance.

Déjeuner : 方便面 (nouilles rapides) à Wangmusi. Une Chinoise comme on en fait peu : nez droit, front bombé au quart de tour – bien sûr l’œil pratique.

Beaucoup de chiens, qui protègent des intrus. Pays sur la défensive. Petit temple (d’où : 王母寺) : taoïste ? confucianiste ? Une villageoise d'une grande obligeance nous y accompagne car nous ne pouvons le trouver.

En revenant, une jeune fille nous invite à prendre le thé. Elle retient ses molosses pour nous laisser entrer. Jolie, vivante, visage à la fois tout en courbes et aux traits volontaires, souriante, arrivée ici l’an passé. Née à Nanning, dix années de jeunesse à Canton. Que viens-tu faire ici ?

On visite quelques maisons millénaires, juste comme ça. Beaux frontons. Dans l’une d’entre elles, une stèle datant des Ming, stèle bouddhiste, gardée par un couple de vieillards fiers. Six enfants. Lui soldat au Tibet en 1956. On dit bravo. Elle nous montre des chaussures de poupée : celles de sa grand-mère.

Rentrés : noix du jardin (un arbre : 15 jours de travail pour 1000-3000 kuai), dîner végétarien et tai-chi sur la terrasse. Le gouvernement donne aux villageois une subvention de 260 kuai par mu contre l’engagement de ne pas cultiver de maïs. Cela ne vaut pas pour les collines alentour, qui font du maïs sous la dépendance exclusive de la pluviométrie.

Le car est le cheval d’aujourd’hui : il travaille, je fatigue.
Trajet pénible vers Jianchuan. A la pause, excellentes galettes aux herbes ou à la confiture ( !), dans l’esprit des nan indiens. Panne de moteur et longue attente. Huit heures de route cahoteuse au lieu de cinq-six prévues.
 
A Jianchuan, aimable parc public avec pins, temple et pagodes. Dehors, une allée de pisé serpente parmi les maisons Ming et Qing. Pas grande finesse dans les sculptures, pas grande variété dans les motifs, mais une unique belle forme d’ensemble.

Deux pékins au Yunnan (3/4): le paradis retrouvé

Lundi 5 avril
Yunnan capitale des papilles ! Petit-déjeuner de 包子 (Baozi, petits pains fourrés), puis 4 heures de car pour Yunlong. Paysages de montagnes, de rizières comme dans le Guizhou, mais sur une terre rouge. Au fond, une rivière boueuse : le Mékong ? Nouveau déjeuner délicieux (brocolis et haricots frits, bœuf coupiché). Le car malmène mon estomac.

Minibus aux prix irrationnels. Quelle rationalité quand l’étranger déverse ses pépettes ? Equivalent d’un loto permanent, ou en creux d’une rafale de crises financières.

Vue de Taijitu : la rivière dessine en deux méandres un yin et un yang. Au milieu : collines, village, rizières. C’est troublant.

Nous montons alors à Nuodeng, vieux village de l’ethnie Bai. L’atmosphère paisible, l’air calme et chaud, le son des clarines et le chant des oiseaux, la sienne de la terre et la pierre des bâtisses, l’escarpement des lieux, la paix des toits courbes, les tortueux escaliers de pierre, une vieille maison à cour tournée en chambres d’hôtes, les cris d’une école primaire, le sourire des enfants, le regard des vieillards et le soir qui descend nous convainquent d’y rester quelque temps.

En haut de la colline, non restauré, un temple de Confucius, au calme souverain.
Première leçon de Tai Chi Chuan : un tiers de la première partie. Tel un pantin, accroché aux « fils du Ciel »…
Il n’y a pas de temple plus beau en Chine, seulement des temples plus restaurés.
« Le Bouddhisme est l’Un [l’introspection], le Christianisme est le Deux [la relation à l’Autre]». Et le Taoïsme, le Zéro ?

Poules de basse-cour, poules de haute cour, caquètent.
Après nous être restaurés (辣猪et wosuan du village), lecture tranquille. Tee-shirt blanc séchant accroché flottant au fil à linge qui longe le premier étage d’un côté de cour.
La télé : seul objet dans le village dont le soir ne gêne pas l’utilisation. Le petit est devant la télé.
La poubelle du repas : la chienne de la maison, 13 ans, petite et tachetée. Son fils : un grand gros chien de 5 mois.
Les lanternes flottent dans le vent, au centre une bougie électrique.

Mardi 6 avril
Addition du dîner de la veille : 50 kuai. Le jardin donne des œufs d’or.

Balade dans les collines en face. Muletiers. Terre rouge sous le vert franc des pins, mise au jour dans les champs : sur les collines cultivées, de grandes plaques de terre ocre sont cernées de vert. C’est si beau qu’on se croirait dans le Sud de la France (dit-il l'air sérieux).

Les alentours aux jumelles : dans le rond de l’objectif, une forêt parfaite – pins réguliers sans trop l’être, d’un beau vert franc, aqueux, aux petites touffes blotties dans la distance.

Déjeuner : 方便面 (nouilles rapides) à Wangmusi. Une Chinoise comme on en fait peu : nez droit, front bombé au quart de tour – bien sûr l’œil pratique.

Beaucoup de chiens, qui protègent des intrus. Pays sur la défensive. Petit temple (d’où : 王母寺) : taoïste ? confucianiste ? Une villageoise d'une grande obligeance nous y accompagne car nous ne pouvons le trouver.

En revenant, une jeune fille nous invite à prendre le thé. Elle retient ses molosses pour nous laisser entrer. Jolie, vivante, visage à la fois tout en courbes et aux traits volontaires, souriante, arrivée ici l’an passé. Née à Nanning, dix années de jeunesse à Canton. Que viens-tu faire ici ?

On visite quelques maisons millénaires, juste comme ça. Beaux frontons. Dans l’une d’entre elles, une stèle datant des Ming, stèle bouddhiste, gardée par un couple de vieillards fiers. Six enfants. Lui soldat au Tibet en 1956. On dit bravo. Elle nous montre des chaussures de poupée : celles de sa grand-mère.

Rentrés : noix du jardin (un arbre : 15 jours de travail pour 1000-3000 kuai), dîner végétarien et tai-chi sur la terrasse. Le gouvernement donne aux villageois une subvention de 260 kuai par mu contre l’engagement de ne pas cultiver de maïs. Cela ne vaut pas pour les collines alentour, qui font du maïs sous la dépendance exclusive de la pluviométrie.

Le car est le cheval d’aujourd’hui : il travaille, je fatigue.
Trajet pénible vers Jianchuan. A la pause, excellentes galettes aux herbes ou à la confiture ( !), dans l’esprit des nan indiens. Panne de moteur et longue attente. Huit heures de route cahoteuse au lieu de cinq-six prévues.
 
A Jianchuan, aimable parc public avec pins, temple et pagodes. Dehors, une allée de pisé serpente parmi les maisons Ming et Qing. Pas grande finesse dans les sculptures, pas grande variété dans les motifs, mais une unique belle forme d’ensemble.

mercredi 14 avril 2010

Deux pékins dans le Yunnan (2/4): les Birmans, c'est charmant

Jeudi 1er avril
Vol sans histoire pour Kunming. Les aventuriers sont fatigués.

Vendredi 2 avril: I'm flying in the rain
Début des ennuis : pluies diluviennes sur la région de Dehong, à la frontière birmane. Vol retardé de deux heures, on nous débarque, on nous rembarque, on décolle, presque arrivés on fait demi-tour, atterrissage à Kunming de nouveau, puis on redécolle pour Dehong où on atterrit avec cinq heures de retard.

30 kuai de taxi pour le centre-ville (10 minutes), puis 25 kuai de car pour Ruili (2 heures). Proportions?

Conversation avec une jeune Chinoise, qui a laissé sa place à une vieille dame dans le car. Du coup je dois me lever. Elle veut s’occuper de petits gamins (小玩玩儿), comme tout le monde elle fait des études d’Anglais. Yeux en noisettes jolies, tâches de rousseur. Politesse de convenance, j’espère avec un twist.

Ruili : ancien nœud du trafic de drogue; à présent ville très chinoise pour touristes chinois.

Samedi 3 avril: vélo et drogue (mais pas de dopage)
Propres d’une bonne douche et d’un somme de dix heures, nous partons à vélo. Bananiers, champs de théiers. Dépassés continuellement par voitures, camions, motocyclettes et ces étranges véhicules composés d’un moteur de tracteur, monté sur deux roues et dirigé par un guidon de Harley, et d’un caisson pour chargement.

Surplombant la route, un temple doré sous de vieux arbres. A droite, une maison de bois sur pilotis, ouverte sur l’air chaud. Maison idéale pour ce temps: fraîche, ventilée. Plus tard, un détour nous mène vers un village que nul ne peut situer sur une carte.
Après un délicieux déjeuner d’un bol de riz couvert de mets en buffet, dans une gargote achalandée extrêmement, nous partons pour Tengchong, six heures de car.

La route est belle. A la frontière d’un comté, des douaniers nous arrêtent et montent dans le car. Ils demandent à voir les hukou des Chinois et nos passeports, puis nous font descendre. Trois Chinois sont pris pour être interrogés. Pendant ce temps, le car est fouillé minutieusement.
Près d’arriver, deux des Chinois interrogés, un couple, nous aident pour l’hôtel. On leur échange 5 euros contre 50 kuai. Lui grand et large, montre en or et chevalière, pantalon Adidas, les traits droits et forts, elle régulière, femme chinoise la tête sur les épaules, belle qui le sait, frêle mais la voix de commandement. Nous partageons un taxi et descendons au même hôtel. Fondue chinoise au dîner.

Dimanche 4 avril: l'ascension et le Marais
Après des coups de téléphone sans nombre, j’apprends enfin que les liaisons pour la vallée de la Nujiang sont coupées. Nous nous attardons une demi-journée pour visiter la montagne sacrée (taoïste) de Yunfengshan. Paysage d’Auvergne. La montagne est plus abrupte au sommet, avec trois pics en couronne. Trinité ; un temple sur le plus haut des trois.
Un groupe de Chinois de l’Anhui monte avec nous les marches en nombre. Déjeuner végétarien dans le temple sommital et descente en téléphérique. Belles couleurs de la montagne, au pied la plaine, au loin monts de brume.
Sur la route pour Baoshan, nouveau contrôle antidrogue. La vie est dure. Sur le mur est écrit en gros caractères rouges : 拒绝毒品,珍爱生命(« refuser la drogue, chérir la vie » ). Mais la vie n'est-elle pas une drogue???

A Baoshan, on a déplacé la gare routière. Les nouilles de riz sont notre pain quotidien : une minute plongées dans l’eau chaude à la louche, coulées dans un bol, on ajoute du bouillon, des épices, viande et légumes.

Baoshan : la rue des Rosiers. Magasins de fringues, de grolles, de sacs, d’électronique. Avec quand même pas mal de coiffeurs et de boui-bouis. Un seul menu dans la ville : soupe de nouilles. Pourquoi ne font-ils rien d’autre ? Il est vrai que c’est drôlement bon…